L’explicitation à l’heure des automates et l’enjeu de l’invention dans le cycle des données

La domination des langues mortes

Commençons par un topique, un lieu commun. “Software is eatig the world” : tout le monde connaît ce mot de Marc Andreessen.

Mais si ces nouveaux langages numériques dévorent le monde peut-être faudrait-il s’étonner que personne ne les parle. Ce sont des langues mortes si l’on s’en réfère à cette définition qu’une langue n’est vivante que pour autant qu’elle est parlée par des individus. On a ici à faire à des langues mortes qui instaurent leur domination sur le monde exclusivement par l’écrit.

A certains égards, les langages de programmation sont ce que Saussure appelle des langues construites, c’est à dire des langues qui ne sont pas naturelles ; des langues qui sont le fruit d’un consensus et d’une convention (l’exemple que donne Saussure est l’espéranto).

La domination du software comme langue morte, que personne ne parle, et qui n’existe que comme écriture par et pour les machines est donc notre actualité. more »

Le schème probabiliste bayésien comme « théorie générale du cerveau humain »

En janvier 2012, Stanislas Dehaene interrompt en quelques sortes son séminaire au Collège de France pour parler d’un cadre conceptuel et non plus seulement de résultats de travaux et d’expérimentations. Il évoque la révolution du cerveau bayésien comme « théorie générale du cerveau humain ». Mais plutôt que de préciser le cadre et les enjeux de son propos je vous propose d’écouter et de regarder les 5 premières minutes d’introduction de son séminaire en Janvier 2012 : more »

Du mode d’existence des catégories statistiques

Le développement des probabilités dans le domaine statistique – c’est à dire dans le champ de l’économie politique – produit depuis le 19° siècle de nouvelles catégories ; de nouvelles manières de faire l’un à partir du multiple.

Du coup, des débats ont eu lieu pour savoir qu’elle est la nature de ce nouvel objet issu de la statistique, et s’il a une existence autonome ; débats qui seront encore vifs jusqu’aux travaux de Durkheim et de l’émergence de la sociologie.

C’est toute la vieille tradition scolastique, celle de la querelle entre nominalistes et réalistes (qui trouve elle-même sa source antique dans les Catégories d’Aristote) qui va être reprise à nouveaux frais dans le contexte statistique.

Pour symboliser ces nouvelles catégories statistiques, celles que produisent les probabilités fréquentistes appliquées à la constitution des états-nations du 19° siècle, on peut évoquer la figure de l’astronome belge Adolphe Quetelet (1796-1874). more »

De nouvelles institutions pour une nouvelle puissance publique

Dans Le rôle des probabilités dans la constitution des États-Nations : l’invention de la statistique, je rappelais que :

« les descriptions statistiques naissantes sous l’ancien régime, quelles soient destinées au Roi ou à son administration, sont secrètes ; elles ne sont pas destinées à éclairer une société civile distincte de l’État : c’est en dehors de ce dernier que se développe une tradition privée de description sociale ».

Cette situation va changer après la révolution où les statistiques descriptives vont faire l’objet de publication, c’est à dire de rendu public.

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Le rôle des probabilités dans la constitution des États-Nations : l’invention de la statistique

L’histoire du calcul des probabilités, outre le fait qu’elle oscille entre les deux points de vue, fréquentiste et bayesien, est intimement lié à la constitution des états-nations, comme le montre Alain Desrosières dans son Ouvrage « La politique des grands nombres », sous-titré « Histoire de la raison statistique ».

Comment les techniques de calcul des probabilités ont-elles participé à la constitution des état nation ? Réponse : en créant de nouvelles catégories.
Le calcul des probabilité, qui émerge au 17° siècle, va être amené à jouer un rôle déterminant dans la constitution de la puissance comme état-nation dès la fin du 18° siècle et pendant le 19° siècle. Cette contribution va s’appeler la statistique.

La statistique, c’est le calcul des probabilités appliqué à la constitution de l’état, par l’état et pour l’état.

Le terme même de « statistique » vient de l’allemand statistik dont l’étymologie témoigne du fait qu’il s’agit de faire état, de constituer un état. En ce sens, la statistique est la science de l’état.  Mais chaque pays a ses spécificités : jetons un oeil rapide aux cas de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France. more »

Deux visages du calcul des probabilités : bayésien et fréquentiste

Après Les conditions d’émergence des probabilités puis La mesure du probable et l’entre-deux des catégories, et à présent où je vais aborder le calcul des probabilités (c’est à dire la mathématisation du probable), je ne peux plus repousser l’exposition d’une dualité interne et épistémologique de l’histoire des probabilités.

Il y a en effet deux conceptions des probabilités, toutes deux présentes dès les débuts de la mathématisation du probable. On parle ainsi : more »

La mesure du probable et l’entre-deux des catégories

Logo_proba_4.svgDans la précédente note sur L’émergence des probabilités, je présentais la manière dont le concept de probabilité avait profondément changé depuis l’antiquité pour devenir celui que nous connaissons à partir du XVII° siècle.

Poursuivons donc, si vous le voulez bien, cette généalogie des probabilités. more »

Les conditions d’émergence des probabilités

Le statut de l’autorité dans les débats et controverses de la casuistique

On fait généralement remonter à Aristote la première occurrence du terme « probable ». Dans ses Topiques, où il écrit :

« Sont probables les opinions qui sont reçues par tous les hommes, ou par la plupart d’entre eux, ou par les sages, et parmi ces derniers, soit par tous, soit par la plupart, soit enfin par les plus notables et les plus illustres »

Dans la distinction traditionnelle entre connaissance et opinion, le probable désignera, jusqu’à la renaissance, non pas ce que nous entendons aujourd’hui comme probable – c’est à dire plausible ou possible selon un certain degré de certitude – mais ce qui, dans le domaine de l’opinion, est « digne d’approbation » ou « digne de foi ».

La probabilité est alors un indice de confiance.

La probabilité renvoie à la probité d’une autorité, qui peut être le nombre de personnes qui partagent une opinion, ou l’autorité (morale, religieuse, savante, etc.) d’une tierce personne.

Ce concept de probabilité, tel qu’il perdure dans la scolastique, va entrer en crise dans le cadre des pratiques casuistiques et à l’occasion de l’émergence du probabilisme. more »

Sur le paradigme indiciaire de Ginzburg (2)

Voici la suite de la note sur les racines du paradigme indiciaire de Ginzburg (1).

Avec Platon, les arts de la conjecture – qui permettent de remonter des effets aux causes en naviguant le long du fleuve du plausible –  furent écrasés par ce désir fou pour une connaissance apodictique (qui présente un caractère d’universalité et de nécessité absolue : une proposition apodictique est nécessairement vraie, où que vous soyez) dont la géométrie est l’emblème. L’induction et l’inférence sont suspectes, elles apparaissent comme hors de la rationalité qui doit procéder par déduction et maîtriser l’enchaînement en cascade des raisonnements vrais.

 

Pour Ginzburg, il est clair que la science Galiléenne du XVII° siècle, avec son paradigme scientifique est en rupture avec ce qu’il appelle les disciplines indiciaires (médecine comprise) :

“Il s’agit de disciplines  éminemment qualitatives, qui ont pour objets des cas, des situations et des documents individuels, en tant qu’individuels, et c’est précisément pour ce motif qu’elles atteignenent des résultats qui conservent une marge aléatoire irréductible.” p. 250

« De ce qui est individuel on ne peut pas parler (individum est inefabile) », dit la devise scolastique : voilà les disciplines indiciaires marquée de leur défaut de scientificité (cf. Le caractère “probable” des sciences historiques selon M. Bloch, Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, 1967, pp/ 52-67). more »