La biodiversité rend libre

Lecture du Chapitre 7 de “Au commencement était ….” de David Graeber et David Wengrow, Les Liens qui Libèrent, 2021.

Il s’agit, dans ce chapitre, de souligner le caractère erroné de la doxa commune selon laquelle l’apparition de l’agriculture instaure inévitablement l’émergence de la propriété afin de d’éviter une « tragédie des communs », ainsi que la généralisation de configurations sociales inégalitaires. Pour sortir de ce schéma simpliste, il faut mettre en lumière de nouveaux motifs qui diversifient le scénario d’une révolution agricole dans le croissant fertile se propageant inexorablement au reste du monde.

C’est en effet plus d’une douzaine de centres indépendants de la domestication des plantes et des animaux que l’on peut aujourd’hui recenser dans le monde :

Par ailleurs, l’espèce humaine est apparue il y a plus de deux cent mille ans : comment expliquer que l’agriculture ne se soit développée qu’au cours des dix mille dernières années ?

On ne peut pas se pencher sur l’évolution des pratiques agricoles dans le temps sans convoquer les facteurs géographiques et climatologiques. Notre espèce n’a connu que deux périodes prolongées de climat chaud propices à l’agriculture : la première est la période interglaciaire de l’Eémien, il y a 130 000 ans, la deuxième est celle que nous vivons actuellement et que les géologues appellent Holocène. La première n’a pu vraiment être mise à profit en raison du faible périmètre géographique occupé par l’humanité à l’époque. Il en va tout autrement de la deuxième qui a commencé il y a 12 000 ans.

Là, c’est un âge d’or pour les cueilleurs-chasseurs où les premières pratiques agricoles vont pouvoir se développer. A ce titre, les habitats côtiers, avec le retrait des glaces, forment de véritables cornes d’abondance : poissons de mers, coquillages, poissons d’eau douce des rivières, diversification de la flore avec des forêts qui remplacent les vastes étendues de steppe, et une faune locale persistante qui commence à remplacer les proies de grandes tailles , tels les mammouths, avec leur longues migrations saisonnières.

Si cette biodiversité stimule de nouvelles techniques de chasse et de cueillette – les auteurs parlent volontiers d’une écologie de la liberté – elle ne constitue pas pour autant des lieux propices au développement d’une agriculture avec ses formes de pouvoir inégalitaires :

« Dans l’essor de la production alimentaire néolithique, c’est la biodiversité, et non le biopouvoir, qui a joué un rôle central. »

AU commencement était… p.330

Pour preuve, le destin de ces peuples agriculteurs qui se sont installé en Europe, à l’écart des régions côtières, dans des terres avec des écosystèmes plus pauvres, et qui, loin de prendre l’avantage démographique sur les cueilleurs indigènes, se sont effondrés vers -5000.

Là où l’agriculture du néolithique a trouvé ses marques (Afrique, Océanie, et aussi finalement l’Europe), il y a des points communs : »

Premièrement, toutes impliquaient une pratique assidue de l’agriculture. […] Toutes les espèces domestiquées l’étaient au sens plein du terme, c’est-à-dire qu’elles perdaient leur capacité à se reproduire dans la nature sans intervention de l’humaine. » p.338. »Deuxièmement, le mode de vie agricole se diffusait de manière ciblée, vers des territoires inhabités. »

Ibid. p.337


Ainsi, en Égypte, le delta du Nil, trop densément peuplé, était évité par les agriculteurs. Être agriculteur à temps plein, semblait se faire en marge des sociétés de « l’écologie de la liberté » avec des frontières ethniques et linguistiques marquées.

L’exemple amazonien nous montre que la pratique modérée, diversifiée et « fainéante » de l’agriculture pouvait s’étaler sur des milliers de kilomètres « sous forme d’un entrelacs d’échanges culturels sans centre ni frontières claires ». Loin de cet exemple, l’agriculture sous sa forme assidue :

 » … a souvent été au départ une économie de privation. On l’inventait à défaut d’autre chose. C’est pourquoi elle est d’abord apparue dans des environnements pauvres en ressources. »

Ibid. p.348

Si l’agriculture n’est pas la cause évidente du passage à des formes de vie inégalitaires, reste à comprendre comment les populations qui vont constituer les premières villes du monde dans les deltas (Mésopotamie, Nil, Indus) ont pu, de par leur concentration, infléchir l’évolution des sociétés humaines.

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