Le rôle des probabilités dans la constitution des États-Nations : l’invention de la statistique

L’histoire du calcul des probabilités, outre le fait qu’elle oscille entre les deux points de vue, fréquentiste et bayesien, est intimement lié à la constitution des états-nations, comme le montre Alain Desrosières dans son Ouvrage « La politique des grands nombres », sous-titré « Histoire de la raison statistique ».

Comment les techniques de calcul des probabilités ont-elles participé à la constitution des état nation ? Réponse : en créant de nouvelles catégories.
Le calcul des probabilité, qui émerge au 17° siècle, va être amené à jouer un rôle déterminant dans la constitution de la puissance comme état-nation dès la fin du 18° siècle et pendant le 19° siècle. Cette contribution va s’appeler la statistique.

La statistique, c’est le calcul des probabilités appliqué à la constitution de l’état, par l’état et pour l’état.

Le terme même de « statistique » vient de l’allemand statistik dont l’étymologie témoigne du fait qu’il s’agit de faire état, de constituer un état. En ce sens, la statistique est la science de l’état.  Mais chaque pays a ses spécificités : jetons un oeil rapide aux cas de l’Allemagne, de l’Angleterre et de la France.

Allemagne

Cette science, cette statistik, qui se formalise en Allemagne au XVII° siècle, vers 1660, propose au prince un « cadre d’organisation des savoirs multiformes disponible sur un état ».

Toutefois, dans la pratique Allemande émergente, cette statistik n’a pas grand chose à voir avec la manipulation des grands nombre et le calcul des probabilités. Elle est essentiellement qualitative et il s’agit surtout d’instaurer des catégories et des nomenclatures qui donnent des cadres de compréhension et de description. A la vérité, ceux-ci sont très génériques et reprennent en fait les différents sens de la catégorie de causalité d’Aristote :

« La cause matérielle décrit le territoire et la population. La cause formelle rassemble le droit, la constitution, les lois et les coutumes. La cause finale a trait aux buts de l’activité de l’État : accroître la population, assurer la défense, moderniser l’agriculture, développer le commerce. Enfin, la cause efficiente rend compte des moyens dont dispose l’État : personnel administratif et politique, appareil judiciaire, état-major, élites. » HRS. p.31.

Dans cette tradition allemande, la statistique produit le cadre général d’une perspective holistique où l’état est la somme des parties ; parties représentées par près de 300 micros états en Allemagne. au début du XVII°.

Angleterre

Tout autre est le rôle de la statistique naissante en Angleterre où l’État est une partie de la société et non le tout. De l’autre côté de la manche, la statistique prend la forme d’une arithmétique politique et, comme le précise A. Derosières :

[…] ce ne sont pas des théoriciens universitaires qui édifient une description globale et logique de l’État en général, mais des gens d’origines diverses qui ont forgé des savoirs pratiques dans leur activités et qui les proposent au « gouvernement ». […]

La statistique voit donc émerger la figure de l’amateur devenu expert en Angleterre ; celui-ci propose ses savoir-faire et ses techniques aux gouvernants, tout en essayant de les convaincre qu’ils doivent en passer par eux pour réaliser leur dessein.

France

La France, quant à elle, et contrairement à l’Allemagne et à l’Angleterre, jouit d’un État fort et d’une administration centralisée depuis le milieu du 17° siècle, avec des figures telles que Richelieu en 1630 et Colbert en 1663

 

 

Ici, la collecte de l’information y est assez développée, essentiellement dans le cadre de politiques fiscales : c’est depuis ce temps là que la France a le leadership en matière de politique fiscales étatiques et qu’il existe un génie français de la fiscalité (qui cherche aujourd’hui à inventer une fiscalité du numérique notamment à partir du Rapport Collin & Colin du ministère des finances).

A noter toutefois que les descriptions statistiques naissantes sous l’ancien régime, quelles soient destinées au Roi ou à son administration, sont secrètes ; elles ne sont pas destinées à éclairer une société civile distincte de l’État : c’est en dehors de celui-ci que se développe une tradition privée de description sociale.

Ce sont les salons, club et sociétés savantes portés par la philosophie des lumières qui, stimulés par le secret qui entoure les informations de l’état développent des travaux d’estimation fondées sur des informations partielles à partir d’échantillons selon des méthodes proches de l’arithmétique anglaise.

Mais la similitude des travaux avec ceux de la société civile anglaise s’inscrit dans des contextes nettement différents : en Angleterre il n’y a pas d’administration centralisé et le gouvernement travaille avec les experts là où, en France, la société civile travaille en marge de l’État et de ses informations secrètes.

[…] Le rôle des probabilités dans la constitution des États-Nations : l’invention de la statistique, je rappelais que […]

 

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