Votre travail est-il « scalable » ?

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Dans son Cygne Noir, Nassim Nicholas Taleb se souvient du conseil que lui donna un étudiant, lors de ses études supérieures à Wharton : de “choisir une activité professionnelle “scalable” (ou sans plafonnement visible)”.

“Scalable” est un terme décidément étrange et plus que jamais d’actualité à l’heure du numérique en réseau. « Scalable » signifie “qui peut passer à de très grandes échelles” mais aussi “qui peut bénéficier d’un effet de levier important”.

L’eldorado : un effort minimal pour un bénéfice maximal, et pas de limites structurelles sur de très grandes échelles. Plus on gagne : plus on gagne encore plus. Un tourbillon ascendant qui nous enivre tant il nous fait tourner la tête.

Ceux d’entre nous qui ont des métiers non “scalables” sont ceux qui sont payés, directement ou indirectement, de leur temps : ils ne peuvent pas passer à des échelles supérieures car leur temps – plus précisément celui qu’ils consacrent à leur activité professionnelle – est limité.

Un très bon chirurgien, boulanger, consultant, ouvrier, enseignant, etc., peuvent certes très bien gagner leur vie, mais ils ne peuvent pas  bénéficier des logiques du passage à l’échelle, de la “scalabilité” ; ils doivent donner de leur temps et être présent chaque fois qu’ils veulent facturer leur travail ou le fruit de leur travail.

A l’inverse, une romancière comme J.K Rowling a un métier qui peut “scaler”, de même que ceux qui font du cinéma, les traders, et d’une manière générale ceux qui sont dans le design et la conception. Les rentrées d’argent sont dé-corrélées du temps de travail : que l’on vende un livre ou des millions de livres, la quantité de travail reste la même.

On sait également que les métiers “scalables” sont ceux où il y a une disparité des rémunérations les plus importantes : les 0,1 % qui ont du succès ne masquent pas la misère des 99,9 % autres.

Ces métiers “scalables” le sont parce qu’ils s’inscrivent dans le processus de grammatisation, processus qui discrétise et découpe le temps (celui de la parole, des gestes et des comportements) pour le mettre en réserve dans des écritures (littérales, analogiques, numériques). Tous les métiers « scalables » sont des métiers qui reposent sur des techniques d’écritures. Ce sont des jeux d’écritures :

  • jeux d’écritures comptables et financiers ;

  • jeux d’écritures romanesques ;

  • Jeux d’écritures cinématographiques ;

  • Jeux d’écritures audiograhiques ;

  • etc.

L’industrie est née avec l’automatisation des écritures, quand la technique est devenue technologie. “Çà tourne tout seul” veut dire “çà écrit tout seul”.

Les pratiques industrielles sont des techniques d’écriture automatiques qui peuvent passer  à l’échelle, et nous sommes toujours plus nombreux à être employés pour ce secteur, mais sans pour autant avoir des métiers « scalables« . Pour la bonne raison que cette industrie qui tend à automatiser de plus en plus les écritures a encore besoin de travailleurs qui produisent de manière répétitive soit ces systèmes technologiques eux-mêmes, soit ce qui ne peut pas – encore – l’être.

*

C’est aujourd’hui la fête du travail : ré-inventons le travail à l’heure des techniques d’écriture automatiques et oublions pour un jour ceux qui nous rabâchent la tête à longueur d’année avec leurs discours désuets sur l’emploi.

3 Juin 2013, 11:16
by regine clanet-faure

reply

bonjour Christian
très bonne vision des choses…
le scalable modifie donc la valeur des choses, et la « valeur « des gens…
en tant que personne « bankable »…
Est-ce ce qui fait que le but (le coup pied dans un ballon) d’un champion de foot ,visible par des millions de personnes grâce aux moyens technologiques, permet de rémunérer le dit champion plusieurs dizaines de millions d’euros ?
On peut prendre d’autres exemples…que vous avez mentionnés d’ailleurs.
Cependant, en situation de vie en danger, à qui vaut-il mieux avoir à faire : au champion de foot, à la pop star, à un patron du Nasdaq , NYSE, Cac 40…ou à un médecin ?
Scalable, bankable, utilable ( ???)…intangible…
Où est la solution ? faut-il limiter le scalable pour rester dans le raisonnable ?
Faut-il augmenter le taxable ?

Je vais passer à table…

[Reply]

[…] régulièrement dans notre vocabulaire sur le numérique c’est bien le mot « scaling » (cf. Votre travail est-il scalable ?), dont beaucoup de ceux qui l’utilisent auraient peut-être du mal à lui donner une traduction […]

 

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