Entre vous et moi

Vous n’êtes pas moi ; entre vous et moi il y a une distance. Pour vous percevoir, j’ai besoin d’une médiation. Cette médiation est toujours technique et organique.
Nous ne voyons pas la même chose. Ce qui nous différentie c’est la mémoire, et nous n’avons pas la même mémoire. Nous ne voyons qu’à travers le filtre de notre mémoire. Entre vous et moi il y a ma mémoire, nos mémoires :

« Ce que vous lisez de ce que j’écris n’est pas ce que j’écris, c’est ce que vous lisez de ce que j’écris : la réalité de vos « perceptions externes », de ce que vous percevez de mes écritures, ce ne sont pas mes écritures, ce sont les productions de votre flux de conscience que vous engendrez à partir de mes écritures. » Bernard Stiegler, La technique et le temps, T2, P226.

[…] Le problème est, en effet, que nous parlons rarement le même langage. Je ne parle pas seulement des différences linguistiques, mais aussi du fait que les propos d’une personne ne sont jamais compris de la même façon par un auditoire de plusieurs personnes. (voir note Entre vous et moi). […]

[…] Maintenant, considérez la situation suivante : vous entendez une musique que vous avez écouté plusieurs fois. C’est toujours le même disque, mais vous appréciez cette musique toujours un peu plus, et en même temps différemment, à chaque écoute. Cette différence dans l’écoute est précisément la rétention secondaire. C’est également elle qui vous fait apprécier une chanson médiocre parce qu’elle vous rappelle d’agréables souvenirs de vacances. Ces rétentions secondaires sont celles qui interprètent et modifient les rétentions primaires, c’est la raison pour laquelle nous n’entendons jamais exactement les mêmes choses (cf la note Entre vous et moi). […]

Il existe, selon moi, un point de vue à la fois distinct et complémentaire à celui que vous présentez, et auquel je souscris aussi :

Nous partageons une communauté, une identité mémorielle à la fois évolutivo-biologique et historico-culturelle. Il est aussi possible d’envisager l’im-médiat de la con-science, comme « un défaut qu’il faut » dirait l’autre 😉
La « rétention » n’est-elle pas in fine la métaphore formelle et communicable d’un processus vivant auto-régulateur, oserais-je, auto-poétique ?!

Mais sur quoi, et c’est le piège, assiera-t-on la distinction que vous posez d’emblé ?! Peut-on penser le diachronique sans immédiatement et implicitement induire le synchronique ?!

Je peux éprouver une compassion immédiate pour un qui est déjà passé ou encore à l’autre bout de la planète et que je ne connaitrais peut-être jamais. L’absence évoque en réaction la présence et ainsi, nous portons en nous et en silence l’ensemble de la vie et de l’humanité. Et c’est un grand mystère : car « je » est aussi un autre.

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