Confiance et management des connaissances
Rien n’agace plus le management que la question des connaissances :
– D’abord parce que c’est une question qui se traite sur le moyen et le long terme, alors que les objectifs sont toujours à court terme.
– Ensuite parce que c’est une démarche qui est éminemment transverse dans l’organisation : ce qui veut dire que le succès dépendra de la participation des autres. Autrement dit, un vrai bourbier en perspective.
– Enfin parce que si la connaissance a de la valeur, c’est sûrement la dernière chose que les gens sont prêt à partager.
Mais, si le management est agacé, c’est parce que, fondamentalement, la question de la gestion de la connaissance dans l’entreprise ne peut s’instruire qu’à partir de celle de la participation. Or, on ne peut pas dire aux employés : » tenez, voici un logiciel qui va nous permettre de partager nos connaissances, utilisez-le et vous verrez « . Malheureusement, il n’y a pas assez de confiance pour qu’une participation, et donc un usage, puisse émerger.
Cependant, si tant est qu’il n’y a pas de connaissances sans supports de connaissances, les entreprises peuvent très bien travailler sur les supports, et on parlera alors d’ingénierie des connaissances. Ce n’est que si c’est la question de la participation qui prime qu’on parlera alors de management des connaissances (cf. la note Management des connaissances, de quoi parle-t-on ?)
Bien évidemment, les entreprises investissent plus sur l’ingénierie des connaissances que sur le management des connaissances, essentiellement parce que c’est un domaine où l’on peut avancer sans dépendre totalement de la participation des employés, comme par exemple en automatisant certaines analyses de contenu, ou en mettant en place des moteurs de recherche indexant les supports numériques.
Mais, même dans la perspective de l’ingénierie des connaissances, dont les travaux les plus intéressants sont les standards du Web Sémantique, la question de la participation devra se poser. Et elle se pose même immédiatementà travers la notion de confiance. Ce n’est en effet pas un hasard si, au sommet des briques du Web Sémantique, la dernière brique, véritable clef de voûte de l’édifice, est celle de la confiance, du trust.
Or la confiance, telle qu’elle est généralement présentée dans le cadre du Web Sémantique, découle de règles de validation – c’est à dire d’un calcul – comprises comme des preuves.
N’y a-t-il pas là quelque chose de surprenant de voir que la confiance est la résultante d’un calcul ? La question est : qui calcule ? La réponse est le management :
« … la fabrication artificielle de la confiance est aujourd’hui devenue l’obsession des « managers » et gestionnaires de l’appareil de production/consommation, où l’on voit bien qu’elle rencontre une limite qui caractérise toutes les situations d’addiction, et que celles-ci, avec le temps, finissent nécessairement par rencontrer : plus on affirme la nécessité de garder confiance, plus on multiplie les artifices en ce sens, et moins la confiance paraît acquise – plus on sent sourde une effrayante méfiance, tandis que se constituent d’effrayants trusts planétaires. » Bernard Stiegler, Mécréance et discrédit, t1, p.123
On commence à comprendre – parce qu’on commence à le vivre – les propos de Nietzsche :
« Ce que je raconte, c’est l’histoire des deux prochains siècles. Je décris ce qui viendra, ce qui ne peut manquer de venir : l’avènement du nihilisme. » (XV, 137, éd. Kröner).
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