L’Économie sociale comme moteur de l’économie politique

C’est en 1615, nous rappelle Charles Gide dans ses Principes d’économie politique (téléchargeable), que le terme d’économie politique est apparu dans l’ouvrage français « Traité d’économie politique » d’Antoine de Montchrétien. Le terme d’économie existait déjà mais, en Grèce ancienne, l’économie désignait avant tout l’économie domestique (oikos : maison/foyer et nomos : loi) en opposition à la politique qui traitait de la chose publique. Il faudra donc attendre presque deux mille ans pour que l’expression d’économie politique se forge en dénotant une forme d’antinomisme avec sa racine grecque puisque l’oikos ne désigne plus le foyer de la famille mais la nation toute entière.

Comment faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’ état  ?

C’est que l’économie politique se constitue en parallèle de l’avènement des grands états modernes. Et Charles Gide de voir dans la découverte de l’Amérique l’élément déclenchant pour la formation d’une véritable théorie économique :

« Les pays comme la France, L’Italie et l’Angleterre, qui voyaient d’un oeil d’envie l’Espagne tirer des trésors de ses mines du Nouveau Monde, se demandèrent par quels moyens ils pourraient se procurer aussi de l’or et de l’argent. C’est présicément le titre que porte le livre d’un italien, Antonio Serra, publié avant celui de Montchrétien, en 1613 : Des causes qui peuvent faire abonder l’or et l’argent dans les royaumes où il n’y a point de mines. » p 10.

La solution résidait dans la vente à l’étranger de produits manufacturés. On développa donc le commerce extérieur et l’industrie manufacturière « par tout un système compliqué et vexatoire de reglements. C’est que qu’on a appelé le système mercantile. »

La faillite potentielle des états menace la possibilité d’une économie politique

L’hypothèse que je fais ici est que l’économie politique, née avec les grands états modernes, est à présent dans une impasse qui est à la mesure des difficultés que traversent ces mêmes états aujourd’hui. Quelles sont ces difficultés ? Elles se ramènent toutes à la dette ou, pour le dire dans les termes du premier ministre français (et encore, c’était avant l’éclatement de la crise financière de Septembre-Octobre 2008) : « les caisses sont vides ».

En France le gouvernement ne peut plus financer des projets de politique industrielle directement, il n’en a plus les moyens même s’il en avait la volonté. La dernière marge de manoeuvre qu’il lui reste est en effet d’accorder au compte-gouttes des aides fiscales pour favoriser et influencer l’économie. Mais celles-ci ne font que creuser mécaniquement encore plus, à moyen terme, les déficits d’aujourd’hui, puisque les aides représentent autant de pertes potentielles dans le budget à venir de l’état.

Si l’on quitte la sphère de l’état jacobin pour s’intéresser aux puissances publiques régionales, le tableau n’est pas plus réjouissant tant les politiques de décentralisation ont été largement détournées par le pouvoir (notamment de gauche, il faut le souligner) pour transférer aux régions, à défaut de responsabilités, surtout des postes de dépenses budgétaires auxquelles la plupart ne peuvent pas faire face. On pourrait ici citer l’exemple de la décision du gouvernement Jospin de faire porter le coût des dépenses d’allocation d’autonomie des personnes âgées par les régions ; décision aberrante s’il en est pour un système qui avait toute vocation à être gérer au niveau de la solidarité nationale.

Pardonnez le caractère abrupt de l’analogie, mais là où les spéculateurs financiers font des titrisations toxiques, l’état dilue ses problèmes budgétaires dans la puissance publique régionale, dernière tapis sous lequel on peut dissimuler les poussières sans faire le ménage proprement. Privé / Public : même logique de dé-responsabilisation.

Les puissances publiques nationales et régionales sont à bout de souffle et l’économie politique devient petit à petit un discours dont la réalité semble devenir désuète puisqu’il n’y aura jamais les budgets pour une mise en oeuvre. A cela il faut rajouter que la crise qui a éclaté en 2008 qui a eu pour conséquence la soumission quasi inconditionnelle des finances publiques aux spéculateurs avec pour première conséquence la mise en lumière d’une probabilité forte de voir apparaître des états en faillite.

Mais je ne suis pas un pessimiste car, si en philosophie être pessimiste n’as pas de sens, je dirais qu’en politique on n’a pas le droit d’être pessimiste. C’est la raison pour laquelle se pose aujourd’hui à nouveaux frais la question de l’économie politique. Non pas une économie politique incantatoire qui s’adresse à des hommes politiques qui ne l’entendent pas, pris qu’ils sont entre le court termisme et le clientélisme qu’imposent les échéances électorales d’un côté et leur incapacité budgétaire structurelle de l’autre, mais un relai qui donne un nouveau souffle à l’économie politique (une nouvelle critique de l’économie politique écrit Bernard Stiegler).

L’économie sociale au secours de l’économie politique

Cette nouvelle économie politique passe par l’économie sociale. Les deux appellations ont souvent été confondu au début de la constitution de l’économie tant elles étaient difficilement différentiables. Aujourd’hui elle le sont, et il faut faire la distinction. Et pour le faire on peut reprendre la distinction qu’en proposait Charles Gide il y a plus d’un siècle :

« L’économie politique pure étudiera les rapports spontanées qui se forment entre les hommes vivants en masse, comme on étudierait les rapports qui se forment entre des corps quelconques, « ces rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses », comme dirait Montesquieu. Elle ne propose pas de les juger, pas plus au point de vue moral qu’au point de vue pratique, mais seulement de les expliquer. Par là elle apparaît plutôt comme une science naturelle exacte.
D’autre part, l’économie sociale étudie plutôt les relations volontaires que les hommes créent entre eux (…) en vue d’améliorer leur condition. Elle se propose de rechercher et d’apprécier les meilleurs moyens pour atteindre cette fin. Par là elle participe plutôt aux caractères des sciences morales. Principes d’Économie Politique p.3

C’est sur la base des « relations volontaires » de l’économie sociale que l’économie politique – nécessaire et souhaitable – pourra être réanimée. Je conçois cette économie sociale non pas comme opposée, ni même en marge, de l’économie politique, mais comme étant une courroie de transmission pour la réanimer.

L’exemple récent de cette commune anglaise, autour du petit village de Lyddington, qui a pris son destin numérique en main en réalisant ce que ni la puissance publique ni le secteur privé n’arrivait à faire, est à ce titre éclairant. Les habitants se sont ainsi regroupés pour améliorer leur infrastructure haut débit d’accès à internet : là ou l’économie politique échouait, c’est l’économie sociale qui a pris le relais.

Un statut juridique pour l’économie sociale

Pour accompagner la montée en puissance de l’économie sociale, notamment celle qui est portée depuis longtemps par le mouvement coopératif, il est existe en France, depuis peu, un statut d’entreprise coopérative particulier qui répond bien aux enjeux d’une économie sociale au secours d’une économie politique : il s’agit de la SCIC (Société Coopérative d’Intérêt Collectif).
La SCIC « peut concerner tous les secteurs d’activités, dès lors que l’intérêt collectif se justifie par un projet de territoire ou de filière d’activité impliquant un sociétariat hétérogène (multisociétariat), le respect des règles coopératives (1 personne = 1 voix), et la non lucrativité (réinvestissement dans l’activité de tous les excédents) » lit-on sur le site de l’agence pour la création d’entreprises. Une de ses vertus est de pouvoir (et même de devoir) associer des personnes juridiques ou morales de tous horizons. Peuvent y participer des salariés, des bénévoles, des entreprises commerciales mais également la puissance publique comme les conseils régionaux. Par où l’on voit que les frontières traditionnelles salarié/non-salarié, public/privé, sont gommées dans cette forme juridique qui constitue un milieu juridique qui cherche à associer les volontés plutôt qu’à les opposer.

Sur le site des Société Coopératives et participatives, vous trouverez de nombreuses informations sur la SCIC, et notamment des listes des 165 SCIC déjà en activité en date du 10 avril 2010.

Petite rectification : L’APA, ce ne sont pas les régions (lapsus?), mais l’échelon inférieur, à savoir les départements qui la gèrent. Comme le RSA d’ailleurs.

D’où d’énormes difficultés à boucler leur budget pour certaines de ces collectivités, en les faisant rentrer dans un cercle vicieux.

[Reply]

Financé par l’Etat (30%) et par le conseil général (70%). Mais le conseil général répercute forcément sur les départements, non ?

[Reply]

Étant donné que le conseil général est l’assemblée délibérante du département… 😉

Voir par exemple l’étude que Standard&Poors vient de publier sur les finances des départements :

http://ddata.over-blog.com/xxxyyy/0/43/06/96/r-forme-institutionnelle/STANDARD-POOR-S-Departements-francais.pdf

Sinon, totalement d’accord avec vos propos sur l’économie sociale…

[Reply]

Merci beaucoup pour ce rapport

[Reply]

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.