La réalité du débat politique en France (et dans le monde occidental)

Lors de cette dernière campagne présidentielle, nous avons assisté à une hégémonie des pratiques de marketing dans le discours politique.

Or que fait le marketing ? Il découpe et constitue des segments de la population : les vieux, les jeunes, les chômeurs, les cadres, ceux qui habitent la campagne, ceux qui habitent les villes, etc. Ensuite il évalue, via des méthodes de questionnaires et de sondage (on connaît l’explosion du budget de l’UMP consacré aux sondages), quelles sont les principales attentes de chacun des segments.

Puis, on donne à chacun de ces segments le discours qu’il attend. Certes, ces attentes peuvent être en contradiction entre plusieurs segments de la population. C’est là qu’il y a un choix à faire : est-ce que je suis gagnant en terme de voix potentielles si je dis qu’il faut réformer les régimes spéciaux de retraites, sachant que bien sûr certains segments y sont opposés ? On fait le calcul et on tranche.

Certains pourraient croire que cela ne marche pas car, bien souvent, cela amène à dire tout et son contraire. C’est mal connaître notre mémoire humaine, car ce dont on se souvient facilement c’est la promesse qui nous est faite à nous, que celle-ci soit contradictoire avec d’autres est marginal en terme d’impact sur le choix électoral (et donc sur nos rétentions). La confusion est vite oubliée pour laisser place au message clair qui nous a été asséné « les yeux dans les yeux ».

Une telle pratique du marketing politique liquide tout simplement toutes les consistances, c’est à dire tout ce qui n’existe pas. Un candidat utilisant massivement les techniques marketing en politique ne dit jamais « la justice c’est cela » ou « le travail c’est cela ». Au contraire, il reprendra toujours les lieux communs auxquels croient et adhérent certains segments de la population. Ces lieux communs, ces topiques, ont au préalable été testées auprès de différents échantillons représentatifs de la population. Ainsi, on ne dira pas ce que doit être la justice ou le travail mais on alignera des slogans publicitaires : « travailler plus pour gagner plus », ou encore « la France qui se lève tôt ». Des slogans dans lequel l’existence – et non la consistance – des segments de population se reconnaissent.

Derrière cela il y a la distinction entre les discours politiciens et les discours politiques. Mais le discours politicien a toujours existé, celui qui s’adresse à des communautés d’intérêts, celui qui ment sans vergogne, celui qui est démagogique dans ses propos. Ce qui s’est passé ces derniers mois, c’est l’industrialisation de ces pratiques en faisant appel aux sondages, aux techniques statistiques et aux centres de calculs.

Le politicien n’est plus un artisan, il est devenu un industriel dans la manipulation de l’opinion, un « spin doctor » industriel.

Une campagne électorale n’est pas, n’est plus, un moment de vérité dans les propos qu’elle véhicule, mais dans les méthodes qu’elle utilise.

Inutile de vous dire que ceux qui se lancent dans un processus électoral avec de bons sentiments et des « idées » sont rapidement liquidés, à l’image de ces petits commerçants liquidés par les grandes surfaces.

Contrairement à ce que l’on pu entendre ici ou là, l’élection présidentielle n’est pas la rencontre d’un homme avec les français, c’est à présent la rencontre d’un marché avec des techniques industrielles de contrôle de l’opinion.

Ce qui se trouve ainsi liquidé, c’est ce que Stiegler appelle le plan des consistances. Ainsi, LA bibliothèque, cela n’existe pas ; il y a pleins de bibliothèques qui existent, bien que LA bibliothèque n’existe pas en tant que telle. C’est juste une consistance, un symbole et une idée que l’on se fait de ce qu’est- et doit être- une bibliothèque.

Quand on liquide le plan des consistances, c’est les symboles qui sont mis à mal. Ainsi Nicolas Sarkozy a-t-il été dans l’impossibilité de rejoindre le plan des symboles en restant au niveau des slogans. On l’a vu aller se recueillir devant la tombe du Général de Gaulle, essayer de trouver un lieu de symbole et de pèlerinage tel Mitterand et son Solutré, vouloir rechercher la méditation dans un monastère, etc. Mais rien n’y fait, cela n’accroche pas ; les symboles glissent sur cet homme comme sur une poêle en Téflon.

Croire que Madame Royal s’en est mieux tirée serait une erreur ; elle a participé elle aussi à cette misère symbolique. Quant l’un glissait sur les symboles, l’autre confondait symbole et icône. Quand la posture se substitue aux slogans, l’imposture n’est pas loin.

Seul François Bayrou a représenté une lueur de dignité dans ces derniers mois. Souhaitons qu’elle ne s’éteigne pas, et que l’économie numérique de ceux qui participent, réellement, puisse lui donner les moyens de travailler à de nouvelles consistances.

L’association Ars Industrialis est en avance sur ces sujets, pour ceux qui ne se résignent pas à la fatalité de cette misère symbolique.

Adhérez !!!
(à Ars Industrialis)

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Tout d’abord, merci pour cette analyse, qui fait froid dans le dos, mais très réaliste. Mais une question me vient : dans la mesure où l’utilisation du marketing politique semble tout balayer sur son passage, quels sont les moyens pour contrer ces méthodes ou du moins pour exister avec d’autres méthodes ?

[Reply]

A ta question Got, je répondrai qu’Ars Industrialis existe précisément pour organiser une élévation de l’homme au détriment de ses pulsions gregaires. Et en parallèle il y a un séminaire depuis 2 ans qui s’intitule « Trouver de nouvelles armes » et dont tu pourras trouver des enregistrements audio sur le site de l’association.

D’une manère générale il ne s’agit pas de diaboliser le marketing, ni même de s’y opposer, mais de voir comment on peut composer avec lui.
Quant aux moyens, je pense qu’il faut d’abord faire le constat et l’analyse lucide de ce qui ce joue (ce que je considère comme acquis avec les travaux de Stiegler) et enfin utiliser les technologies participatives pour peser dans la balance (ce que je fais et que font ceux qui lisent ce blog).
L’enjeu est de ne pas laisser ceux qui proviennent d’un monde dissocié (je produis et tu consomme) s’emparer des nouvelles technologies participatives pour prolonger leur hégémonie.
En ce sens, la campagne de Ségolène Royal est une infamie : elle a utilisé les termes – et les technologies – de « participation » pour, in fine, les détourner de leur potentiel. Elle porte une très lourde responsabilité dans le succès électoral de la « télécratie ».

Enfin, si tu cherche des « méthodes », celles que tu appliques et mets en oeuvre dans ton blog sont excellentes.

[Reply]

« la conscience a l’heure des objets temporels 4 », éivdemment 🙂

[Reply]

 

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