« Tout, tout de suite » : parlons-en

“Tout, tout de suite”, prix Interallié 2011, est le dernier roman de Morgan Sportès.

J’ai beaucoup hésité à lire ce livre, puisqu’il relate ce fait divers misérable que fut ce que l’actualité a retenu sous le nom de “l’affaire du gang des barbares”; “gang” qui kidnappa un jeune homme dans la perspective d’une rançon, le séquestra pendant plusieurs semaines pour finalement le tuer.

L’incompréhension face à de tels faits divers est comparable à celle que nous avons vécu récemment avec l’affaire Mohammed Merah ; et la tentation est grande de ne pas commenter, de se taire en se drapant du respect des proches, de la dignité, etc.

L’autre élément qui force le silence est la manière dont ces faits divers sont interprétés et commentés dans les médias, par les journalistes, les experts et les hommes politiques. La sur-réactivité collective sur ce genre de fait divers de l’horreur laisse sans voix. On nous ressort les Juifs et les Arabes, puis la montée de l’intégrisme islamique. Comment en placer une dans ce torrent consensuel ?

Le fond de la misère politique a été atteint avec le coup en deux temps de Nicolas Sarkozy de Mars 2012 suite à l’affaire Merah.

  • Cela commence par cette décision d’imposer une minute de silence dans les écoles ; rien de mieux pour inoculer la peur et l’incompréhension dans les jeunes esprits. Sarkozy nous rappelle ainsi que son principal argument politique est la peur ; plus nous aurons peur, mieux il se portera.
  • Puis vient l’organisation des arrestations dans les milieux islamistes. Imaginez un peu cela : les télévisions sont présentes avant les forces d’intervention pour qu’elles puissent … filmer leur arrivée et leur intervention. Pastiche médiatique (tous seront relâchés) qui envoie un message clair de Nicolas Sarkozy aux Français : “on vous prend pour des imbéciles et on agit en conséquence”.

On a donc le tableau suivant : les imbéciles se contrôlent par la peur quand les autres se taisent par dignité pendant que Sarkozy impose des minutes de silence afin d’être sûr qu’on l’écoute quand il commence à parler.

Parlons-en donc, car il ne faudrait pas que notre mutisme servent ceux qui distillent leur poison en ne cessant de nous montrer des boucs émissaires.

C’est le mérite du livre de Morgan Sportès que d’en parler, et d’en parler différemment. Je crois qu’il porte une parole très juste sur l’affaire du “gang des barbares” : ce n’est pas l’islam ou quelque question de religion qui sont le problème derrière ces faits divers, la vraie cause (mais elle est profonde et réclame des politiques diachroniques et non synchroniques ) est dans la misère symbolique des protagonistes.

Des jeunes gens pour la plupart sans avenir, sans éducation, et exposés en permanence aux industries culturelles. Les temps libres sont des temps consacrés au shopping dans les centres commerciaux, les 200 € obtenus lors d’un délit sont utilisés pour acheter des chaussures de marque, les gens se jugent à partir des marques “qui en jettent” et les comportements sont ceux que diffusent un certain cinéma et une certaine télévision. Comme le dira une conseillère pédagogique après avoir discuté avec une des protagoniste de l’affaire d’enlèvement,

“Elle vivait dans un monde virtuel, genre Star’Ac.”

Les industries culturelles et le capitalisme consumériste sont les premières causes de la misère symbolique qui sévit dans cette population de “cailleras” et de ceux qui gravitent autour d’elle.

Cette misère symbolique s’illustre par une vision hégémonique de la marchandise ; il y a une marchandisation de tout, y compris du jeune homme kidnappé qui n’est géré que comme une marchandise qui perd progressivement de la valeur avec le nombre de jours de séquestration qui augmente.

Rien de tout cela n’est dit dans les paroles qui commentent ce genre de faits divers. Dès qu’il y a passage à l’acte, on oublie le marketing, la marchandisation, le consumérisme et le rôle des industries culturelles : c’est l’islam, c’est la religion, c’est l’intégrisme qu’on nous sert ad nauseam.

*

La semaine dernière, j’ai proposé à mes étudiants de faire un exposé sur ce livre dans le cadre d’un cours sur les industries culturelles ; je n’ai eu aucun volontaire … silenzio.

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