22 Jan 2011, 5:20
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Choisir une couleur : la torture esthétique

Il me faut rafraîchir une pièce : murs et sols. Ce sera peinture avec cire aux murs et parquet flottant au sol, ne reste plus qu’à trouver les bonnes couleurs grâce aux catalogues de couleurs et de photos en ligne.

Je dois avouer que j’avais une légère appréhension avant même de commencer sérieusement à choisir les couleurs car j’ai un jugement esthétique très incertain en matière de couleur. Comme tout le monde,  j’ai un avis sur tout (« les goûts et les couleurs .. ») et je sais dire, une fois fini, si çà me plaît.

Mais c’est une autre paire de manche que de partir de zéro et de faire soi-même le choix des couleurs. On pense bien à quelque chose qui serait par exemple dans les tons entre vert et violet, mais sans être vraiment capable d’aller plus loin que des généralités.

Il faut de toute manière partir du catalogue.

Votre regard parcours donc le catalogue et, quand une couleur attire votre attention, le premier réflexe est de vous rapprocher le plus possible de la photo. Pour juger de la pertinence de cette couleur il faut pouvoir l’imaginer in situ, dans la pièce une fois peinte. Or il m’est très difficile d’imaginer ce que cet échantillon de quelques centimètres donnera réellement sur plusieurs mètres carrés.

Chacun comprend bien que voir un échantillon de couleur et se retrouver au milieu d’une pièce peinte en cette couleur est une expérience esthétique différente. Il y a des fois où le goût pour une couleur ne « passe pas l’échelle » : la couleur était belle dans le catalogue, au milieu des autres couleurs, mais devient désagréable quand elle nous entoure réellement (souvent une sensation d’étouffement : « c’est bien mais … non, çà fait trop ») .

Pour vous aider, les fabricants de peinture ont donné des noms évocateurs aux couleurs de leur produits. Sur le coup, j’ai trouvé çà très utile car, quand la tête commence à tourner à force de voir et de revoir toutes ces couleurs, se reposer sur la lecture du nom des couleurs est comme une bouée de sauvetage : une bonne métadonnée textuelle, il n’y a que çà de vrai pour faire des choix ! De plus, les vendeurs ont fait de réels efforts pour la dénomination de couleurs.

Plus personne n’ose vendre des couleurs avec la dénomination : vert, orange ou bleu. Ce n’est pas assez précis pour des peintures qui doivent justifier un prix élevé, surtout quand on veut mettre des couleurs à appliquer avec l’éponge, ou pour de la cire, afin de casser la sensation d’homogénéité des couleurs unies appliquées au rouleau.

Toujours est-il que nous avons donc des noms de couleurs évocateurs même si, parfois, un peu abstraits : abysse, bacchus, etc. Je constate  d’ailleurs la même tendance dans les « produits de senteurs » comme les désodorisants, les bougies ou l’encens. Par exemple les derniers encens que j’ai acheté s’appelaient :

  • « Soir d’été en provence »
  • « Veillée et contes d’hiver »
  • « Nature après la pluie »
  • « Sieste sous le figuier »

Heureusement, on n’en est pas encore arrivé à ce stade de nom pour les couleurs, pour la raison bien simple que si en matière d’odorat on peut associer des senteurs à des moments (soir, sieste, veillée, etc.) la chose est moins aisé pour des couleurs de murs qui vont perdurer du matin au soir et en toutes saisons.

Bref, toujours est-il que la sélection par le nom peut également réserver des surprises qui peuvent avoir des effets contraires au but recherché, comme par exemple quand vous réalisez que le marron qui vous plaisait s’appelle en fait « chocolat ». L’intérêt esthétique que l’on attribuait à une couleur peut se retrouver ruinée par son nom : je veux bien mettre du marron sur le mur mais pas de chocolat !


Mais ce n’est que le début des problèmes : la question de l’éclairage et de la lumière va se sur-ajouter. Puis viendra le moment où il faudra prendre soin à ce que le choix des couleurs des murs et du parquet sera lui même harmonieux, que les couleurs âprement sélectionnées et choisies aillent bien ensemble. Si ce premier agencement est gagné il faudra encore, hélas, le rejouer avec la couleur des meubles, et là la combinatoire devient vertigineuse.

Mais le moment certainement le plus déprimant est le moment où l’on regarde une fois de plus le catalogue, mais depuis un autre ordinateur, pour se rendre compte que les couleurs ne sont plus vraiment les mêmes. Toutes les hypothèses et les argumentations que vous aviez faites s’écroulent et sont balayées d’un revers de main : en regardant la même page web depuis différents écrans vous vous rendez compte que la couleur que vous croyez avoir choisi n’existe pas. C’était juste la diffraction modulatoire d’une couleur originale, celle de la peinture, qui fut photographiée puis numérisée et enfin diffusée sur des écrans ayant eux-mêmes des réglages différents. Au sens propre du terme, vous avez déliré sur une couleur de peinture qui n’existait pas ; seule la couleur d’une image sur un écran d’ordinateur existait. C’est bien pour cela que les vendeurs précisent sur leur catalogue :

« Malgré le soin apporté à l’impression, nous ne pouvons garantir l’exactitude de la reproduction des couleurs »

Inutile de préciser que si, en plus, le choix doit être fait à deux, il y aura nécessairement de l’orage dans l’air.

Tout çà va finir en blanc … mais quel blanc ? Mat, brillant, cassé, neige, blanc d’agrumes, blanc nuage, blanc laiteux, etc. ?


[…] This post was mentioned on Twitter by Christian Fauré, florence meichel. florence meichel said: RT @ChristianFaure: [Nouveau Post] Choisir une couleur : la torture esthétique http://goo.gl/fb/kW6UJ […]

Incommensurabilité des expériences « virtuelles » et « réelles » — plus exactement des espaces techniques de médiatisation que fournissent les technologies d’écran, d’imprimerie, d’utilisation de pigments ou de réseaux de diffraction, face au vécu ?

Un article intéressant sur Wikipedia, à propos des nuanciers de Pantone Inc. :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Pantone_Inc.

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1 Mar 2011, 10:01
by Fred Noël

reply

Je sors de l’étalonnage d’un film, et désormais j’en suis sûr : la couleur est un vertige ! Je repense aussi à ce que disait Deleuze de Van Gogh, qu’il avait mis du temps pour oser la couleur (dans l’abécédaire, mais je ne sais plus quelle lettre…)
Sinon, il y a ce site,
http://www.ecrans.fr/Le-site-du-jour-Kuler,4325.html
dont je me sert de temps en temps pour le graphisme audiovisuel, mais il s’agit plutôt des complémentarités de couleurs. Multiplier l’abîme

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Christian Reply:

Je crois que c’est à la lettre H comme « Histoire de la philosophie »

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