Comment pensent les pauvres ?

La question peut être choquante si l’on s’imagine que la richesse est un attribut qui ne détermine pas les modes de pensées et que, l’un dans l’autre, ce qui distingue le riche du pauvre est seulement que le premier a de l’argent.

L’entretien avec l’économiste Esther Duflo parue dans le Télérama n° 3131 est à ce titre éclairant.

Pourquoi les gens (on parle ici des populations défavorisées des pays en voie de développement) n’envoient-ils pas leurs enfants se faire vacciner ? Pourquoi ne dépensent-ils pas tout leur argent pour se nourrir, alors qu’ils meurent de faim ? Pourquoi assiste-t-on a de tels comportements illogiques du point de vue de l’économiste, se demande Esther Duflo.

Elle donne deux pistes qui me semblent importantes.

Tout d’abord elle souligne un aspect psychologique :
« On sait que l’homme, aussi pauvre soit-il, ne peut pas penser toute la journée à des choses négatives : il se fabrique un « filtre » pour appréhender le réel, il « colore » les choses, refuse d’imaginer qu’il va tomber malade et qu’il devrait s’assurer. Bref, il finit par faire des arbitrages qui nous paraissent illogiques. »
Ensuite il y a un aspect que j’appellerai « cognitif », en ce sens que le pauvre est beaucoup plus sollicité par des choix critiques qui l’accaparent tout au long de la journée :
« On oublie que dans nos sociétés privilégiées, on a de moins en moins de décisions à prendre, alors que ceux qui vivent avec moins d’un dollar par jour ont des dizaines de choix cruciaux à faire quotidiennement.  La plupart […] ne sont pas assurés d’avoir encore du boulot demain. On comprend mieux pourquoi la vaccination n’arrive pas en tête de leurs préoccupations… »
Esther Duflo précise ainsi que, si vous deveniez pauvre :
« Votre cerveau se remplirait soudain de préoccupations auxquelles aujourd’hui vous ne pensez même plus. »

Finalement, je me dis que ces aspects psychologiques et cognitifs sont partagés par tous, car moi aussi j’ai un « filtre psychologique à emmerdements », et moi aussi j’ai un « cognitive overflow » qui m’empêche d’avoir le temps de me faire vacciner ou de renouveler ma carte d’identité périmée depuis un an.

Seulement voilà, les impacts sont tous autres car le pauvre est empêtré dans des problématiques de subsistantes alors que nous sommes quand même au niveau des consistances.

Auras-tu renouvelé ta carte d’identité et te seras tu fais vacciné avant d’acheter la future tablet d’Apple??

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probablement pas 🙂

[Reply]

[…] expérimentale de l’économiste Esther Duflo et la pratique pharmacologiqueDans la note Comment pensent les pauvres ?, j’évoquais l’économiste Esther Duflo. Puis un très bon article de synthèse de Jean […]

 

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