Qu’est-ce qu’être de gauche ?

C’est une question à laquelle j’avais du mal à répondre ce manière concise et satisfaisante. Mais des commentaires au dernier billet sur Être en porte à faux ont fait ressurgir la question et, cette fois-ci, c’est la définition qu’en a donné Bernard Stiegler à l’assemblée générale d’Ars Industrialis de Juin 2009 qui s’est imposée. De mémoire :

« Être de gauche c’est croire à la nécessité d’une puissance publique. Une puissance qui s’exerce effectivement. »

Pour tester la formule, on pourrait se demander si, a contrario, être de droite serait :  » Ne pas croire à la nécessité d’une puissance publique qui s’exerce effectivement » ?

Je perçois très bien ce que cela peut vouloir dire quand je vois les débats aux États Unis d’Amérique où toute forme de puissance publique qui prend le visage de l’administration centrale est diabolisée par la droite qui hurle au retour du socialisme communiste soviétique. La seule politique acceptable est dès lors celle qui est dictée par le lobbyisme des industries de tout poil.

Mais en France, il me semble que c’est différent. Il me semble qu’une majorité est pour la nécessité d’une puissance publique ;  cela sans la diaboliser immédiatement et en comprenant que la puissance publique ce n’est pas que l’état : c’est aussi les villes, les territoires, les associations, etc. Le problème est que cette multiplicité des figures de la puissance publique provoque une polysémie qui ne favorise pas son exercice effectif.

C’est peut-être cette inefficience qui fait le lit de la droite ?

Mais la question que je me pose est de savoir si l’apparition de technologies réticulaires – le web et les réseaux sociaux – va augmenter l’efficience des puissances publiques ou au contraire les diluer encore plus. Et l’exercice pourrait également se poursuivre en se demandant : le web est-il de gauche ?

Bien sûr, le web peut véhiculer toutes les conceptions politiques – y compris les plus abjectes – lorsqu’il est compris comme simple outil et vecteur de communication. Mais les possibilités qu’il offre vont dans le sens d’une puissance publique effective qui donne lieu aux prémices d’une économie de la contribution : Wikipedia et l’économie du logiciel libre en sont les actes.

est-ce qu’être de gauche n’est pas avoir une vision structurante des choses alors qu’être de droite serait avoir une vision pragmatique. Idée comme ça en passant

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Je ne suis pas très à l’aise avec l’expression « gauche », car pour moi elle est plus de l’ordre du ressenti personnel, de l’intime, que de la politique. Elle est d’autant plus difficile à définir que le terme en lui-même ne signifie pas grand chose (être assis sur les sièges de gauche d’une assemblée ?) et que chacun peut facilement y mettre ce qu’il veut.

La définition de Bernard Stiegler ne me satisfait pas. Elle parle d’un outil, la puissance publique, sans préciser les buts qui lui seraient assignés. Elle ignore la question des valeurs, à laquelle j’attache davantage d’importance. Mais même au niveau des valeurs, certaines sont difficiles à étiqueter, chaque camp les revendique en en offrant sa propre définition. La liberté par exemple. Libertaires et libéraux s’accordent sur la liberté des individus, et se retrouvent par exemple côte à côte contre Hadopi. Mais les libéraux étendent la liberté à des abstractions comme les marchés, les entreprises, là où les libertaires (hormis le courant libertarien surtout présent aux USA) estiment qu’on peut restreindre la liberté des marchés lorsqu’elle entrave celle des hommes. Idem sur la sécurité, où très schématiquement pour la droite elle désignera la protection de la propriété privée, pour la gauche la protection de l’individu, au sens de sécurité sociale.

Au passage, des gens « de droite » croient aussi à la nécessité d’une puissance publique. Mais celle-ci a pour nom police et est destinée à maintenir l’ordre établi, aussi injuste soit-il. La puissance publique peut servir à lutter contre les inégalités et les injustices (la Sécurité sociale) ou au contraire à les défendre (la police).

Quant à la question des affinités du Web… Il faudrait d’abord réussir à s’accorder sur l’essence du web, et voir si celle-ci est plus proche des valeurs de droite ou de gauche. On pourrait dire que par son architecture Internet favorise la liberté. Mais c’est aussi bien une liberté « de droite » (entreprendre) que de gauche. Wikipédia est un usage « de gauche » d’Internet. La mise en ligne de bases de données qui portent atteinte à la vie privée (comme les condamnations pénales aux USA) est un usage « de droite », qui va dans le sens de l’acception droitière de la notion de sécurité.

Sur un sujet proche, dans son cabinet de lecture sur Rue 89, Hubert Artus s’est demandé ces dernières semaines si le polar français était de droite ou de gauche. La question est un peu plus précise, elle ne concerne pas le genre littéraire « polar » dans son ensemble mais son appropriation ces 40 dernières années par les auteurs français. cf http://www.rue89.com/cabinet-de-lecture

C’est en fait un beau troll que tu lances, car, à moins d’avoir quelques heures devant soit, il est impossible de répondre sans tomber dans la caricature, ce que je fais évidemment ici 🙁

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Pour avoir vu echouer un magnifique projet web contributif en grande partie a cause d’une pression sclerosante exercee par la puissance publique (j’ emploie ici ce terme au sens le plus reducteur, a savoir simplement ‘les elus’) par ailleurs etiquettee a gauche, et pour avoir reve que ce projet prenne son essort au sein du monde du libre, j’avoue avoir tique a la lecture des premieres lignes de ce billet. Rassuree ensuite par la tournure du billet et en particulier celle du dernier paragraphe. La question est bien de (re)definir la puissance publique, mais aussi et surtout de ne l’accepter comme telle que lorsqu’elle est mue par une idee de partage et de l’alignement par le haut, et non par les interets particuliers (dont fait partie, entre mille autres, la course a la re-election) des humains qui l’incarnent. Le web – dans sa multiplicite – et l’economie de la contribution me semblent aujourd’hui les meilleurs vecteurs de mise en oeuvre de ces valeurs.
– Mettre en ligne des outils, des savoirs, des idees, des reves, c’est partager. Donner un peu de son energie, de son ‘temps de cerveau’ (pour se reapproprier cette expression affreuse de la droite la plus abjecte) a l’usage des autres, a l’usage de ce que l’on appelle ‘la communaute’ (interessant, comme ce mot, philosophiquement tres ancre a gauche, est couramment employe dans le monde de l’informatique, mais aussi dans le monde de la recherche).
– Contribuer, c’est ameliorer et donc tirer vers le haut.

J’y porte de grands espoirs pour redonner un sens a l’expression ‘puissance publique’.

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Gauche/droite, ou la dichotomie autour de la notion d' »Ordre » public.

Et si on sortait de la notion de « masse »?

http://miluz.over-blog.com/article-25728873.html
Dans cet article de mon blog (provisoire), j’oppose la Puissance publique aux Pouvoirs publics.

« Ainsi, maintenir l’Ordre dans la nation serait le fait d’une participation permanente de l’ensemble des membres de la « chose publique ». Il s’agirait là de la mission prioritaire de chacun des membres d’aider à la construction de cet ordre sans cesse évoluant, sans cesse amélioré. »

Plus loin, la signification que je donne à « an-archè », comme :
« une action, privée de son extrêmité, de son origine, de sa totalité, du principe premier qui l’aurait générée comme de sa récapitulation. Un évènement qui n’aurait pas de début, pas de fin ».

Le régime parlementaire comme une intervention rigide dans ce qui ne devrait pas être « ordonné ». Où le fait d’être assis à gauche ou à droite aurait en commun le désir d’empêcher l’ordre naturel de se faire, de la même peur-panique de la liberté, … de ces fameux mouvements de « masse ».

(cf : La Panique, Colloque de Cerisy, fév91, coll. les Empêcheurs de penser en rond)

Où la solution transitoire serait pour commencer de réduire la taille du territoire de la polis, pour apprendre la liberté, d’expérimenter la politique, se la réapproprier en commençant par co-gérer de petites communautés territoriales.

Comme ce qui se fait en Catalogne en ce moment à l’échelle de la ville?
(si j’osais, je dirais : « déjà », si l’on se réfère à ce qu’il s »y est passé de 33 à 36. Ou de 16 à 17 dans les Soviets.. ).

Internet pour lien, dans l’expérience de la liberté à des échelles de plus en plus vastes?

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Merci pour ces derniers commentaires.

La définition de Stiegler ne s’arrête pas là. Il précise que la distinction qui est importante n’est pas tant entre gauche et droite (mais là il est difficile de balayer cette distinction d’un revers de main car même si on ne la trouve pas pertinente elle rythme la vie politique).

La distinction n’est plus, non plus, entre Travail / Capital mais, précise Stiegler, entre Curieux et Incurieux.

Et il est vrai que les incurieux existent aussi bien à « droite » qu’à « gauche ». Mais il faut comprendre « curieux » dans sa référence à la curie et à l’incurie. Le laisser faire, le manque de soin, est également ce qui pousse à abandonner l’idée d’une puissance publique, par résignation ou par conviction.

[Reply]

Une certaine gauche à l’esprit d’entreprise, comme un artiste achète sa toile blanche, il investit.
Une certaine droite sociale où écouter et agir pour le bien de tous, une éthique active garantiraient un avenir durable. Les guerres seraient évitées, les crises différentes. Les cultures seraient les moteurs de nouvelles utopies

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