L’instrumentation de la dette publique
Dans l’émission radiophonique Tire ta langue, Alfred Gilde (auteur de : Oui, l’économie en français, c’est plus clair , France Empire, 2013) rappelait que l’expression traditionnelle de “Dette Publique” était peut-être plus judicieuse que celle de “Dette Souveraine” empruntée au monde anglo-saxon .
Qui plus est, si la dette est qualifiée de “souveraine” elle montre du doigt que la puissance publique est endettée et que, donc, elle perd économiquement sa souveraineté.
Paradoxe : la dette dite “souveraine” ne fait qu’exprimer et mesurer l’importance de la perte de souveraineté.
Après, il faut bien sûr distinguer la dette extérieure (dette contractée auprès d’organisations étrangères) de la dette intérieure (dette détenue par les ménages et les résidents) : les japonais sont les plus endettés mais la quasi totalité de leur dette est une dette intérieure. C’est donc plutôt de la “bonne dette”, comme on parle de “bon cholestérol”.
On pourrait penser que c’est toujours mieux de ne pas avoir de dette, mais c’est oublier qu’il n’y a que ceux qui investissent pour se choisir un avenir souhaitable qui ont des dettes (sauf exception de type manne pétrolière).
Au montant de la dette, il faut également prendre en compte un indicateur qui influe sur l’interprétation de la dette : le taux d’épargne des ménages. Un pays comme la France est certes endetté, mais on sait que le montant de l’épargne des citoyens est du même ordre que celui de la dette.
Implicitement, cela veut dire que les détenteurs de la dette française savent qu’en cas de “force majeure” la puissance publique pourra toujours, autoritairement, s’approprier l’épargne des ménages et des particuliers : c’est l’expérimentation qui a eu lieu en grandeur nature à Chypre.
Dans cette logique, la dette est un instrument de requalification de la puissance publique. Cette dernière n’est pas l’expression d’un pouvoir au service d’un bien commun et public mais le moyen de “socialiser les pertes” pour garantir les profits d’intérêts privés.
Quand Ars Industrialis en appelle à une “nouvelle puissance publique” c’est très précisément pour condamner la tendance actuelle – malheureusement pleinement cautionnée par le président de la république actuel dans son allocution télévisuelle du 28 Mars 2013 – celle d’une puissance publique comme moyen de remboursement de la dette dans la perspective de pouvoir ensuite recommencer “comme avant”.
Le président dit “mon cap c’est la croissance”, mais de quelle croissance parle-t-il ? De cette croissance qui nous a conduit à cette dette ? à ces millions de chômeurs ? De cette croissance qui pousse l’Espagne a esclavagiser sa jeunesse ? de celle qui force les jeunes italien à émigrer ?
On ne peut plus aujourd’hui en appeler au “retour de la croissance” en espérant un consensus sur le mot croissance, et que cela passe comme une “lettre à la poste” : c’est cette croissance qui nous a amené dans le mur.
Cette croissance tant invoquée, dont le retour est attendu comme le printemps, a été une mécroissance, une mauvaise croissance. C’est parce qu’il y a des bonnes et des mauvaises croissances que le politique doit s’exprimer sur les modèles économiques et industriels qui doivent constituer l’épine dorsale d’une bonne croissance, ce qu’il a cessé de faire depuis qu’il s’est enfermé dans un rôle de chamane invoquant avec impuissance le retour de la consommation comme d’autres le retour de la pluie.
Je ne vois pas bien ce que serait une bonne croissance, à distinguer de la mauvaise croissance. Par ailleurs, il serait utile de prendre en compte le fait que ce qui rend le climat politique et social actuel n’est pas une mauvaise croissance, mais bel et bien l’absence de croissance.
Tout à fait d’accord sur la dette publique.
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La croissance pour tout vous dire on n’en veut plus car on n’en peut plus. Que n’a-t-on dit, que n’a-t-on fait au nom de la croissance : il y a overdose de croissance ! Cette croissance qui symbolise précisément ce dévoiement de la libido qui est au coeur d’Ars industrialis.
Je ne comprends pas votre frilosité par rapport à ce terme. Vous parlez de mauvaise croissance ; d’autre par le de croissance négative pour laisser la croissance sur le pont coûte que coûte, vaille que vaille !!
Mais alors dans ce cas, pourquoi ne pas parler de décroissance positive ; de bonne décroissance !!!
Ars industrialis doit aller plus loin. pour l’instant vous pêchez encore par excès de politiquement correcte. On ne vous entend pas en dépit de l’intérêt de votre travail.
Bien cordialement
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Je vois bien, mais il y a plusieurs écueils :
1. c’est très subjectif : produire de la bière, c’est bien ou c’est pas bien ? On peut dériver vers des appréciations telles que la bière c’est l’opium du peuple vs une bière de qualité en fin d’après-midi pendant les vacances c’est bien.
2. Comment du coup mesure-t-on la « bonne croissance » (et la mauvaise).
C’est probablement le lot de nombreuses avant-gardes, mais comme vous reprenez un terme qui a une définition précise, même imparfaite (la croissance c’est la variation de la somme des valeurs ajoutées d’une année sur l’autre) sans pour autant donner une définition d’une précision égale, j’ai l’impression que vous allez à contre-courant de ce que devrait être le « progrès ».
Habituellement on progresse en ajoutant de la précision, pas en floutant.
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Si si, jouons avec les mots, c’est particulièrement important, sur ce sujet notamment. J’entendais il y a quelques jours Bernard Maris se rengorger face à Dominique Seux, à expliquer que de toute façon la récession actuelle était une cure de frugalité pas si malvenue.
C’est un discours très théorique, qui joue sur la polysémie du terme croissance, et qui permet d’oublier que la décroissance en Grèce conduit à ce que les enfants aillent se nourrir dans les poubelles. Je trouve dommage que cette ambiguïté ralentisse la recherche de solutions autres.
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Il n’est pas aisé certes de définir précisément bonne et mauvaise croissance, mais évidemment l’enjeu est que les effets positifs l’emportent sur les effets négatifs.
Je n’aime pas trop non plus la notion de décroissance qui contient en soi une notion d’austérité.
La meilleure définition pour moi d’un cheminement vers une autre forme de croissance, je la trouve dans l’intervention de Bruce Sterling en 2009. Préférer le mieux au plus (et au moins) :
Un bon lit par exemple.
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Je reviens à mon propos : bonne ou mauvaise, la croissance a perdu toute force d’entrainement. La puissance libidinale du terme est épuisée. Il a fait son temps et il appartiendra bientôt à l’ancien monde. On ne construit pas du nouveau avec des catégories éculées.
Ars industrialis a dressé un bon diagnostique mais s’est arrêtée en cours de route. Juste une pause peut-être … Qui vivra saura.
Mais quoi qu’il en soit, un sincère merci pour ce qui a été déjà mis sur la table. Qui fut pour moi un immense enrichissement.
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Autrement dit, en attendant mieux, une « bonne décroissance » sera toujours beaucoup plus dynamisant pour la réflexion et l’action qu’une « bonne croissance » 😉 Parce que là on sent qu’on est au bord d’un basculement ; que le coup d’envoi vers un autre chose a été donné. Que le momentum est impulsé. Et que sans qu’on sache où elle va nous emmener, une dynamique est enclenchée, dotée d’une forte capacité d’entrainement. D’une capacité d’entrainement décisive car irréversible …
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Je repense à mes commentaires en lisant cet entretien avec Meadows, qui n’aime pas non plus le terme de décroissance :
http://www.les-crises.fr/le-mot-decroissance-meadows/
Par ailleurs, il me semble qu’Ars Industrialis n’est pas avare en néologismes. Il ne devrait pas être impossible de trouver d’autres concepts moins ambigus.
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Quand on se met à ausculter un tant soit peu la dette publique de la France il ne serait peut-être pas inutile de rappeler deux choses :
1/ La dette publique croit à mesure que les recettes fiscales diminuent. Cela porte un nom : la dépense fiscale dont la France n’a visiblement pas les moyens et dont elle a cependant beaucoup usé au cours des quinze dernières années à travers les réductions d’impôts dont les premiers bénéficiaires étaient les possédants … Auxquels l’Etat versera ensuite des intérêts au titre du service de la dette qui représente le 2nd poste de dépense du budget de l’Etat..
Donc d’un côté nous avons un Etat fauché qui fait des cadeaux fiscaux à des ménages fortunés. Ainsi, l’Etat appauvri va ensuite devoir emprunter à ces même ménages qui regorgent de devises les fonds dont il a besoin et dont il s’est volontairement privé.
Mais ces prêteurs exigent dorénavant un retour sur investissement : les intérêts de la dette. Le comble de l’ingratitude !
2/ Ensuite, il n’est pas inutile de rappeler un événement survenu le 3 janvier 1973 : loi Pompidou-Giscard d’Estaing par laquelle la Banque de France abandonne son rôle de service public.
Article 25 : « Le Trésor public ne peut plus présenter de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France. » Dès lors, sous prétexte de lutte anti-inflationniste, le recours au crédit productif public est interdit.
Autrement dit, l’Etat se condamne à emprunter sur les marchés financiers, au coût fixé par ceux-ci, ce qu’autrefois il avait le pouvoir de créer lui-même à un coût très faible.
Et il s’avère précisément que le montant de la dette cumulée correspond aux intérêts versés au cours de cette période. [ http://www.plumedepresse.net/wp-content/uploads/Dette_evolution_avec_et_sans_interets.jpg ]
Pour résumer, le pays s’endette pour payer les intérêts de sa dette à ceux :
– à qui il s’est condamné à emprunter depuis 1973 d’une part
– à l’égard de qui il n’a cessé de multiplier les largesses fiscales
Une politique d’auto-endettement au double bénéfice des nantis qui laisse pour le moins perplexe à plus d’un titre …
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