A l’enfant que j’ai été et que je ne suis plus

Je me souviens de moi, en classe de CM1. Nous parlions de l’an 2000 et j’avais fait ce calcul, j’avais à l’époque 9 ans, que j’aurai précisément 30 ans en l’an 2000. Je me souviens que cela me plaisait beaucoup, cela faisait un chiffre bien rond et facile à se rappeler, pas comme mes camarades qui avait un an de plus que moi et qui auraient donc 31 ans en l’an 2000.

Ce jour là, peut être aidé par la simplicité de l’idée d’avoir pile 30 ans en l’an 2000, je m’étais comme adressé à moi même, dans le futur. Oui, cela peut paraître étrange. C’était comme si j’avais envoyé une bouteille à la mer, ou comme si j’avais enterré quelque chose qui ne devrait être ouvert par moi-même que 21 ans plus tard.

Ce que je m’envoyais à moi-même, c’était des questions : qu’elle était ma vie, mon métier, à quoi ressemblait ma femme, avais-je des enfants, et puis, de quoi était fait l’an 2000, les voitures volaient elles, etc. ? Vingt et un ans plus tard, et même encore aujourd’hui, je parle avec cet enfant que j’étais. Je lui raconte ce que je suis devenu et que non, les voitures ne volent pas encore.

J’ai beaucoup de sympathie pour ce garçon que j’ai été en classe de CM1 qui, ce jour là, a pensé à moi étant plus vieux. Je suis touché parce que cet enfant s’est inquiété pour moi, il a posé des questions et il les a porté avec lui durant toutes ses années, secrètement, pour qu’elles arrivent à bon port.

Cette adresse que l’enfant que j’étais m’a faite, il ne l’a pas faite à lui même. Il s’est adressé à moi, non pas à lui dans le futur. J’étais là, comme convoqué, en face de lui, et il ne se parlait pas à lui-même mais bien à moi.
Depuis je n’ai cessé de lui répondre, de lui donner de mes nouvelles et de celles du futur. Une discussion s’est installée entre nous car cet enfant, en s’inquiétant pour moi, demandait aussi, en retour, à ce que je m’inquiète pour lui. Comme s’il me disait :

« j’ai pensé à toi, penseras-tu aussi à moi ? ».

Ou encore :

 » Me laisseras tu seul dans le passé ou reviendras-tu me voir? Viendras-tu me visiter ? »

Ce que cet enfant a fait ce jour là est immense. Jeter un pont avec l’avenir, instaurer une brèche dans l’irrémédiable linéarité du temps qui passe. L’enfance est toute tournée vers l’avenir, mais ces moments sont rares où il ne s’agit pas simplement d’imaginer et de se projeter. C’est une forme d’anticipation ou l’on pose des jalons, comme un petit poucet qui placerait ses petits cailloux blancs dans la mémoire pour que l’on puisse le retrouver, pour qu’on ne l’oublie pas.

Assurément, le jour où il a placé ces petits cailloux blancs dans ma mémoire, l’avenir devait autant l’exciter que l’angoisser. Cet enfant se disait que  » l’an 2000 cela, devait être formidable », quel dommage qu’il ne puisse pas le voir.

« Mais toi qui a 30 ans en l’an 2000, tu me diras hein ? Tu reviendras me dire comment c’est, ce que j’y suis devenu et ce que j’y fais ? »

Alors je ne cesse de revenir et de lui rendre visite. Je l’aime beaucoup, il me touche, et grâce à lui j’arrive à m’aimer.

Superbe, je me posais les memes questions a l’epoque, et j’y repense aussi aujourd’hui … sauf que j’avais 29 ans en 2000 , dommage pour le compte rond 😉
En meme temps j’ai eu 30 ans la meme annee que les attentats du 11/9… et si en CM1 je me serais imagine que les 2 tours jumelles de NY disparaitraient un jour…. c’est vraiment pas comme ca que j’imaginais l’avenir

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Dis-lui coucou de ma part. Dis-lui que tu as écris un bel article sur le narcissisme (tu lui expliqueras le mot, si il ne connaît pas). Un article qui pourrait attirer les moqueries de ceux qui critiquent l’égocentrisme (et l’exhibitionnisme) des blogueurs. Mais un beau post avant tout : ce serait bien si tout le monde était capable de s’aimer comme toi ! 🙂

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Je suis très touché par ton billet. C’est très personnel, mais j’ai le sentiment que c’est une démarche que tout un chacun fait à un moment ou à un autre dans sa vie ; regarder derrière, regarder devant et faire un peu l’état des lieux pour savoir si on se trouve bien là où l’on voulait se rendre.

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Post original et bien écrit.
Je me posais la même question sauf que j’avais 21 ans en 2000.

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[…] Christian Fauré — A l’enfant que j’ai été et que je ne suis plus […]

Merci pour ces commentaires. Je crois en effet que c’est une expérience très universelle mais il m’a semblé que j’arrivais à la formuler de manière un peu différente ces derniers temps.

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