Après l’informatique embarquée et l’informatique de gestion, tend à s’en  rajouter une troisième informatique qui est l’informatique  relationnelle. Celle-ci ne repose plus sur des technologies de gestion  mais sur des technologies relationnelles.
Pour expliciter ce qui  se passe, il faut d’abord dire que ces deux informatiques, de gestion et  relationnelle, malgré les différences que je vais souligner, ne  s’opposent pas systématiquement. Ainsi, une application peut relever à la  fois d’une informatique de gestion et d’une informatique relationnelle.
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Dans  les entreprises, les DSI sont organisées pour gérer une informatique de  gestion : on met en place une application de gestion, on la valide,  puis elle passe en TMA (Tierce Maintenance Applicative). Quand pointent  les technologies relationnelles, le réflexe des DSI est de les traiter  comme des technologies de gestion, ce qui explique les difficultés  systématiques pour que ces technologies relationnelles pénètrent les Firewalls des Systèmes d’Information (SI).
La  chose n’est pas nouvelle, elle ne date pas de 2005 et du Web 2.0, c’est  le cas depuis internet, à commencer par le email. Mais c’est surtout  avec le web qu’une réaction en chaîne (une réaction de type  transductive) s’est enclenchée. Disons donc que cela a commencé dans les  années 90 pour plupart des grandes entreprises, et cela perdure encore.
Le  web, qui est le lieu de convergence des technologies relationnelles,  n’a ainsi pas vraiment pénétré dans les SI. Car ce que les DSI faisaient  – et ce que les éditeurs proposaient – c’était des applications non pas  « web » mais « webisées« , çà ressemble à du web mais quand on soulève le capot on voit que c’est juste l’utilisation d’un navigateur web (en général IE6). Même les services web n’avaient pas la même tête  dans le SI que sur le web, ce qui a produit le monstre du tunnelling  Http et des normes WS-*, et tout cela a culminé avec le matraquage  marketing autour de la SOA.
La raison en est que, à chaque fois,  les DSI appréhendaient les technologies relationnelles comme des  technologies de gestion. Le web en entreprise a toujours été « dénaturé »  et pris à rebrousse poil, tant au niveau des standards et des protocoles que des pratiques et des usages. Encore aujourd’hui, il y a des  personnes dans les DSI qui croient qu’il faut un bon gros serveur  d’application pour avoir des applications et des services web, de la  même manière qu’il y a en a qui demandent encore des portails web sur  des serveurs d’applications dit « d’infrastructure ».
La situation  est devenue cocasse quand les DSI ont commencé à intégrer des solutions  « Web 2.0 » parce qu’elles apparaissent dans la roadmap et dans le  catalogue de leur éditeur attitré : les blogs et les réseaux sociaux  pensés par IBM ou SAP, çà faisait quand même froid dans le dos tellement  il était évident que les gars qui étaient derrière çà ne comprenaient  pas « le truc ». Le « truc » en question était que ces solutions reposaient  majoritairement sur des technologies relationnelles plutôt que sur des  technologies de gestion. Et, il y a à peine quelques années, je pense  n’avoir pas été le seul à penser :
« s’ils passent avec çà et l’imposent  sur le marché, je démissionne pour aller élever des chèvres dans le  Larzac ».
Les professionnels de l’informatique de gestion, SSII/Integrateurs, Éditeurs et DSI, n’ont toujours pas digéré le web.
A  une échelle bien plus large, aux niveaux économiques, sociétaux et  politiques, le web est également un emmerdement maximal pour ceux qui  voient leur modus vivendi , quand ce n’est pas leur rente de  situation, se déséquilibrer. Mais restons-en ici au niveau des Systèmes  d’Information des entreprises.
Entre la tentation de se croire  plus gros que le web au point d’arriver à le marginaliser et celle de  l’intégrer à sa sauce gestionnaire, tous ces faits, qui constituent un  marché professionnel, disaient le contraire de la tendance que,  pourtant, ils manifestaient. Cette tendance est précisément l’avènement  des technologies relationnelles qui prennent ici le visage du web.
Aujourd’hui,  je milite beaucoup auprès des DSI pour qu’elles mettent en place une  Direction des Technologies Relationnelles (DTR) en parallèle de la  traditionnelle Direction des Systèmes d’Information (DSI). Ceux qui  suivent un peu ce que j’écris sur ce site peuvent certainement entrevoir  les caractéristiques de ces Technologies Relationnelles, mais j’aurai  certainement l’occasion de les développer plus en détails. En revanche, je veux dès à  présent souligner une distinction essentielle entre l’informatique de  gestion et l’informatique relationnelle qui repose sur la notion de  métastablité.
On se souvient de nos cours de mécanique et de  physique en classe de seconde où l’on a appris qu’il y avait des  équilibres stables et des équilibres instables. Un équilibre était  instable si une force, en s’exerçant sur lui, le faisait quitter son  point d’équilibre sans qu’il n’y revienne naturellement. Le rocher en  haut de la colline est dans un équilibre instable car si on le pousse il  va dévaller, ce qui n’est pas le cas du rocher dans une cuvette qui, lui,  est dans un équilibre stable (il y a bien sûr beaucoup à dire sur la  métastabilité en reprenant les travaux de Gilbert Simondon, mais je ne  garde ici que l’explication la plus simple et la plus courante).
Les technologies relationnelles reposent sur un milieu métastable, un  équilibre instable, alors que les technologies de gestion reposent sur  un milieu stable.
On ne peut pas reprocher à une entreprise  de mettre en place des systèmes de gestion qui, en tant que reposant sur  des technologies de gestion, sont censés assurer un maximum de  stabilité : gestion de la paye ou gestion de la production tolèrent mal  un contexte métastable. Seulement voilà, quand on a l’esprit formaté par  les technologies de gestion, on finit par croire que seul un équilibre  stable est possible en matière d’informatique. L’idée même d’un système  informatique métastable n’est pas acceptable et est immédiatement balayé  d’un revers de main.
La web est le lieu contemporain par  excellence d’un milieu technologique métastable : il contient des  potentialités qui peuvent advenir selon les forces qui s’exercent sur  lui. Le visage du web ne cesse de changer, or ce simple fait est une  preuve d’inachèvement et d’échec pour celui qui le regarde avec le  filtre des technologies de gestion. Pour celui-là, « le cahier des charges  n’a pas été respecté » et ne parlons même pas des version d’application en mode  Beta et autres méthode de travail en mode agile (parce que les méthodes  agiles sont des méthodes de travail dans des contextes métastables).
Il  y a encore beaucoup, beaucoup de travail à faire, et pas seulement dans  les DSI, pour que le brouillard se dissipe et que les enjeux des  technologies relationnelles puissent être saisies par les entreprises.
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Je  terminerai par une devinette à l’attention de ceux qui connaissent le  web sémantique : le web de donnée, celui qui est produit par les normes  du web sémantique, est-il une technologie stable ou métastable ?  Relève-t-il plutôt des technologies relationnelles ou des technologies  de gestion ?
                    
                                          
                   
                
Pas simple ta question, je réfléchis tout haut et ça demanderait certainement plus de réflexion : un des buts des technologies du Web sémantique (et du Web de données) est justement d’apporter les technologies relationnelles au cœur même des technologies de gestion, c’est-à-dire les données des organisations pour les faire fructifier, les valoriser, les relier, bref leur donner une vie (donc par essence instable), mais aussi pour leur donner une plus grande stabilité en terme de logique et de modèle (donc par essence il faut tendre vers la stabilité).
Alors réponse de normand pour le moment : il me semble que les technos du Web sémantique oscille entre stabilité (provenant de son pan logique avec les ontologies et autres) et instabilité (provenant de son pan Web). Elle vise à placer, à faire migrer les données des technologies de gestion (soit le monde stable que tu décris avec ses règles d’où la logique et les ontologies) dans le Web (soit le monde instable basé sur les technologies relationnelles, les seules à même de garantir partage, interopérabilité et évolutivité à moindre coût d’où les graphes).
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