Attention aux voitures !
Un jour que je me promenais en ville, je croise un clochard complètement ivre qui titube sur ce trottoir étroit qui longe cette petite rue. « Attention aux voitures ! », lui dis-je. Mais il n’entend rien et continue sa déambulation dangereuse, manquant à chaque pas de se mettre sous une voiture.
Après moi, un autre passant essaye de parler à l’homme ivre mais celui-ci se fâche et marmonne des propos à peine compréhensibles : il ne veux pas qu’on lui parle ni qu’on l’aide. Je tourne la tête et continue mon chemin pour ne pas avoir à être le spectateur impuissant d’un accident qui me semble inévitable.
Ai-je à peine fait quelques pas que le bruit déchirant d’une voiture qui pile se fait entendre ; avant même de me retourner je sais ce qui s’est passé. Dix mètres derrière, le clochard est couché sur la rue, tout contre la voiture qui vient de freiner. Je ne vois pas sa tête, elle est devant la roue avant droite de la voiture à présent à l’arrêt. Au volant, une jeune femme qui de toute évidence est choquée et reste prostrée dans son véhicule sans oser sortir.
C’est une ruelle peu fréquentée, le passant qui avait voulu aider le clochard a disparu dans un rue adjacente. Il n’y a que moi, la conductrice, et le clochard. Je comprends que c’est à moi d’aller porter secours à l’accidenté.
Il me faut parcourir les dix mètres qui me séparent de la voiture, cela prendra cinq secondes. Que vais-je découvrir ? Ce qui m’angoisse le plus, c’est de ne pas distinguer sa tête : le corps longe le côté droit du véhicule mais la tête est juste devant la roue … devant, ou dessous ! Mon dieu, quel spectacle vais-je devoir affronter ? Je jette un oeil à la conductrice en m’approchant, son regard me confirme qu’elle ne bougera pas avant que j’aille en reconnaissance.
Les deux dernières secondes, celles où je me penche pour le retourner et regarder son visage sont intenses. J’image tout, et surtout le pire : qu’il a le visage aplati, que les yeux sont sortis de leur orbite, que la cervelle a explosé, etc.
Voilà, s’est fait, je viens de le retourner. Son visage est indemne, il est conscient et n’a pas une égratignure ; on dirait qu’il vient de désaouler d’un coup d’un seul et se demande comment il a pu atterrir ici, au beau milieu de cette ruelle, la tête entre un pneu de voiture et l’asphalte. Je l’aide à se remettre debout et il repart aussitôt, presque honteux, sans rien dire ni se retourner.
La jeune conductrice a changé de visage entre-temps, la peur paralysante a laissé place à l’énervement. Je n’entends pas ce qu’elle dit dans son habitacle et c’est sans me regarder qu’elle repart.
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