22 Août 2010, 3:57
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Thé et Dasein

Anne Fagot-Largeault, dans son cours de 2007 au Collège de France, retrace une filiation surprenante entre un des textes majeurs de la tradition philosophique occidentale et la pensée asiatique.

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Pour Tomonubu Imamichi, philosophe japonais atypique, la grande affaire de la philosophie occidentale est la représentation du monde. Et la meilleure place pour se représenter le monde, c’est de se mettre en surplomb, c’est à dire à la place de Dieu. Le Das-Im-Der-Gott-Sein, le fait d’être en Dieu, est le point de perspective de la philosophie occidentale.

Le philosophe oriental ne cherche pas tant à se représenter le monde qu’à l’exprimer, dit Imamichi. L’inspiration vient d’en bas et non d’en haut. Le sujet connaissant est dedans, immergé dans son monde. Son souci est de s’occuper de son mode proche (« to deal with »). C’est ce que souligne Okakura Kakuzo, en 1898, dans son désormais célèbre « Livre du thé » (écrit en anglais), ouvrage destiné à faire connaître la philosophie asiatique à l’occident à partir de la cérémonie du thé. Le souci de la philosophie asiatique est d’être dans le monde, et non de conquérir une perspective d’ensemble sur le cosmos.

Selon Imamichi, depuis un siècle (notamment depuis la publication du « Livre du thé ») on voit des auteurs occidentaux passer de la posture du Das Im dem Gott Sein (être en Dieu) au Das Im der welt Sein (être dans le monde) et, inversement, des penseurs orientaux du Das im der welt Sein au Das Im dem Gott Sein.

Imamichi raconte ainsi qu’un de ses professeurs, Ito Kichinosuke (1885- 1961), avait fait une année d’étude en Allemagne en 1918, à la fin de la première guerre mondiale. Cherchant un tuteur allemand, il avait fini par choisir le jeune Heidegger qu’il payait pour que se dernier lui donne des cours de philosophie. L’année suivante, de retour au Japon, le jeune Kichinosuke, avait envoyé un exemplaire du Livre du thé, récemment traduit en Allemand, à Heidegger. Lorsque Kichinosuke lu Sein und Zeit lors de sa publication en 1927, il reconnût aussitôt le concept d’être-au-monde présent dans le Livre du Thé, qui prenait la forme du Dasein sous la plume de Heidegger. Ce que Okakura avait présenté comme être-au-monde dans le Livre du Thé, reprenant la pensée du philosophie Zhuangzi, devenait ainsi le Dasein Heideggerien.

Zhuangzi

D’après Imamichi, son maître Kichinosuke avait été très choqué qu’Heidegger n’ait pas mentionné sa source, à savoir le Livre du thé. Puis, lorsqu’en 1968 Imamichi fut invité en Allemagne par Gadamer, élève chéri de Heidegger, à faire une série de conférence à Heidelberg, il a peut-être prononcé le mot de « plagiat » à propos des thèses de Heidegger dans Sein und Zeit. Gadamer et Imamichi sont alors resté brouillé pendant 4 ans.

Sein und Zeit serait-il né de la lecture par Heidegger du Livre du Thé ? On pourrait également essayer de faire un parallèle entre le chashitsu, la petite pièce/maison dédiée à la cérémonie du thé, et la « hutte » Heideggerienne.

Heidegger serait donc plus oriental qu’on aurait cru.

[…] Thé et Dasein – Christian Fauré […]

[…] propos de Anne Fagot-Largeault, dans son cours de 2007 au Collège de France que j’ai repris dans Thé et Dasein.Entre l’occident et la Chine, entre France et la Chine, il y a donc François Jullien. Et cela ne […]

[…] est une » dans son livre « Les Idéaux de l’Orient ») et Martin Heidegger (qui avait rencontré le philosophe Shûzô Kuki, dont Okakura était le père spirituel). Ayant […]

 

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