La femme, cette scientifique

Lecture du Chapitre 6 de “Au commencement était ….” de David Graeber et David Wengrow, Les Liens qui Libèrent, 2021.

Il s’agit dans ce chapitre de déboulonner un certain nombre de préjugés qui donnent du crédit à la « révolution agricole » du croissant fertile.

Les premiers indices sur l’absence d’une révolution qui se serait répandue comme une traînée de poudre ont été retrouvé sur les sites du néolithique ; même s’il est possible que pendant cette période le passage à l’agriculture ait été une réalité, toujours est-il que l’art et les rituels – pendant au moins un millénaire – ne font pas référence à l’agriculture, et la vie culturelle reste obstinément tournée vers la chasse et la cueillette. Ainsi, les statues de femmes aux formes généreuses qu’on appelle les vénus, ne sont pas des symboles de fertilité dans un contexte agricole.

Vénus de Willendorf, vers 24 000 / 22 000 avant le présent (culture gravettienne; paléolithique supérieur), calcaire oolithique, H: 11 cm. Musée d’histoire naturelle de Vienne (Autriche). Date de découverte : 1908. Lieu de découverte : Aggsbach (Willendorf, Autriche). Source : https://paragone.hypotheses.org/5991

On sait que le passage à l’agriculture peut être vérifié à partir des graines de plantes qui ont été domestiquées. Une plante domestiquée a sa génétique modifiée et elle ne peut se développer seule, elle est totalement dépendante des bons soins des agriculteurs. Yuval Harari, dans Sapiens, a des envolées lyriques sur le fait qu’avec l’agriculture, c’est aussi la plante qui domestique l’homme.

C’est le moment où les auteurs font leur coming-out : ce livre est quand même un anti-Sapiens :

« Si le récit de Harari est si séduisant, ce n’est pas parce qu’il est solidement étayé par des preuves, mais parce qu’on nous l’a déjà répété mille fois – même si le casting change. »

Au commencement… p.294.

Des études ont montré que la mutation génétique des plantes pouvait être obtenue en un laps de temps réduit, entre 20 ans et 200 ans au maximum. Ce qui ne justifie donc pas la période d’au moins mille ans que l’on constate. Alors pourquoi l’agriculture du néolithique a-t-elle été si lente à se développer ? Un début de réponse est proposé par les auteurs :

« Les populations humaines du Moyen-Orient ont commencé à se fixer dans des villages permanents bien avant que les céréales ne deviennent une composante essentielle de leur alimentation. Au cours de cette période, elles ont découvert que les tiges d’herbes sauvages avaient de multiples usages. »

Ibid. p.296

Parmi les usages citons :

  • comme petit combustible
  • comme adjuvant à la boue qui servait à bâtir des murs
  • comme élément pour la confection de paniers, vêtements, nattes, chaume.
Source : http://familleringeval.canalblog.com/archives/2008/06/30/9763090.html

Cette période de cultivation des plantes pour les tiges et pas pour la nourriture crée une proximité avec les plantes qui serait la condition de possibilité d’une lente domestication en passant par un savoir botanique avant de basculer dans des pratiques agricoles. Le fait que cette phase ait pu s’étendre durant trois mille ans, montre qu’il n’y a pas eu de « révolution agricole ». Il s’agit :

« d’une phase à part entière de l’histoire de l’humanité au cours de laquelle des populations de cueilleurs ont pratiqué l’agriculture par intermittence, sans jamais devenir esclaves de leurs plantes ni de leurs troupeaux. »

Ibid. p.298.

Bref, on a plus à faire à des techniques de gestion de l’environnement où la culture de certaines plantes se faisait surtout sous forme d’agriculture de décrue où on laisse la nature faire le travail que d’agriculture avec le labeur qu’on peut y associer communément. Dans cette activité de techniques de gestion de l’environnement, avec les connaissances botaniques que cela requiert, il faut ici souligner le rôle essentiel des femmes :

« Presque partout dans le monde, ce sont elles qui récoltent les plantes sauvages et les transforment ».

Ibid. p.301

Et comme cette culture de plantes comestibles s’accompagnait presque toujours d’activités de vannerie dont le tressage et l’entremêlement ont dû être à l’origine des premières connaissances mathématiques et géométriques, on peut déplorer que de nombreux développement qui seraient à mettre au crédit des femmes aient été largement passé sous silence.

Aucune trace d’inégalité flagrante en tout cas dans ces sociétés cultivatrices, et même entre les différents peuples du levant qui avaient un rapport plus ou moins dépendant à cette forme d’agriculture, il semble que les  plus dépendantes à cette forme d’agriculture sont les plus épargnées à la stratification sociales et à la violence. Si l’introduction de l’agriculture au néolithique n’est pas l’événement qui marque l’apparition de formes de dominations sociales, qu’est-ce qui a bien pu aller de travers ?

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