Re-designer le design

Difficile d'y voir clair dès que l'on parle du design. Une tentative de définition se heurte de prime abord à la différence entre la conception française et anglo-saxone. En anglais le design c'est la conception, alors que c'est l'esthétique pour le français ("esthétique industrielle qui cherche à harmoniser les formes et les fonctions des objets").

Lors d'un entretien public avec Ruedi Baur (Designer) le Mardi 6 Mars (j'essayerai de mettre l'enregistrement en ligne bientôt), Bernard Stiegler parle du design comme ce qui vise à "faire adopter de nouvelles techniques, et donc de nouvelles pratiques". Car toute nouvelle technique doit faire face à un rejet : les machines jetés au fleuve ou les ouvriers qui détruisent l'outil de production.

 

 

A ce phénomène de rejet, il faut rappeler que des objets techniques de la vie courante ont eu du mal à s'imposer : le dentifrice , le vélo, etc.

Il y a donc des processus d'adoption.

Ces processus d'adoption peuvent faire l'objet d'une politique. Je dis "peuvent" car ces processus sont généralement portés par le marketing et la publicité. Or il ne faut pas que la politique laisse le champ libre au marketing, sans quoi le marketing , comme il le fait déjà, se substituera à la politique elle-même pour donner du marketing politique.

C'est quoi le marketing politique ? C'est le détournement organisé des consciences : regardez ailleurs ! Un détournement qui vise à mettre en place des clivages binaires qui divisent (précisément car leur opposition est fallacieuse). Pendant ce temps là, les vrais problèmes passent à la trappe.

Je disais donc qu'il peut y avoir une politique d'adoption technologique. Mais pourquoi est-ce souhaitable, et pourquoi particulièrement ici en Europe ? Parce que, bien que l'Europe soit un territoire d'innovation et de découverte, ce qui est découvert ne fait toujours l'objet d'une industrialisation.

Le GSM par exemple est une découverte française, faite par France Telecom R&D, mais dont on a jugé que cela n'avait pas d'intérêt ; il a fallu que ce soit un autre pays qui se lance dans l'industrialisation du brevet, avec le succès que l'on sait aujourd'hui. Or industrialiser c'est précisément "designer".

Il n'y a pas d'industrie sans design.

Sans design, l'industrie s'effondre, tout comme ces machines à laver de l'ex RDA, les meilleures techniquement qui soit, mais qui ont vu leur vente s'effondrer lors du choc et la confrontation avec l'industrie occidentale du design. Le design au, sens fort, c'est la promotion et l'accompagnement de la pénétration des techniques et des technologies dans nos vies.

Cela est-il vrai du silex aux nanotechnologies ? Non, car il n'y a pas vraiment de design avant le XIX° et le XX siècle, avant les industries de masse.

Que doit-on entendre lorsqu'on parle de politique d'adoption ? C'est quoi la politique ?

La politique, c'est dire "tout le monde s'y met" : "tout les enfants vont à l'école", "tout le monde à accès à l'électricité", "tout le monde vote", etc.. C'est çà une décision politique.

Or que fait le marketing ? Il segmente, il fait des catégories, des panels, etc. Il veut s'adresser à tous différemment. Alors que le politique s'adresse à tous de la même manière, et collectivement. Quant le politique adresse un message unique dans lequel chacun peut s'individuer : le marketing adresse un message multiple dans lequel personne ne peut s'individuer. Le XX° siècle a été le siècle du marketing (politique et mercantile).

Doit-on pour autant penser que le marketing "c'est mal" ? Certes non, le marketing a permis au capitalisme de surmonter une crise majeure du siècle dernier, celle de la surproduction. Mais qui va prendre, à présent, le relais du marketing, maintenant qu'une autre crise voit le jour, celle de la misère symbolique ?

Les symboles ont besoin de diaboles, que diable !

Il faut re-designer le design, il faut que le design trouve la force de s'émanciper du marketing où il ne sert qu'une seule intention : celle de diviser pour mieux régner. Il est temps pour le design de rassembler, de nous rassembler. Et c'est peut-être cela que veut dire "constituer l'Europe".

C'est pourquoi, re-designer le design, c'est mener une nouvelle politique industrielle européenne. Cette politique doit être une politique des industries culturelles car son objet est précisément le design, le processus d'adoption ("si c'était à refaire, je commencerai par la culture", fameuse citation apocryphe de Jean Monnet).

L'enjeu est donc faire sortir de design de l'hégémonie du marketing pour qu'il participe à une politique culturelle constitutive de l'Europe. Nous y serons arrivé lorsque une décision politique commencera par "Tout européen…", parce que ce sont des phrases comme çà qu'un peuple entend et retient, des phrases comme çà qui ont été inaudibles lors du référendum européen.

Que donc le design redevienne un dessein, un projet, c'est à dire un motif européen. Quelque chose qui nous motive, tous.

L’avenir du design : le nanodesign…

[Reply]

Très bonne source pinch !

[Reply]

[…] A l’heure ou il faut re-designer le web, il faudra peut-être se résoudre à mettre notre planche de surfeur au placard. Architecture design Service (No Ratings Yet)  Loading … […]

 

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