Catégoriser
Une catégorie n’existe jamais seule, elle s’inscrit toujours dans une co-relation avec d’autres catégories ; ce qui produit des listes, plans de classements, taxinomies, etc.. Dans ce contexte, catégoriser peut vouloir dire deux choses, et c’est une distinction importante à rappeler :
- d’une part le fait de produire des catégories, de nouvelles listes de classes d’équivalence. Par exemple Linné, au XVIII° siècle, produit des classifications et des taxinomies, des espèces vivantes.
- d’autre part le fait de placer un élément dans une catégorie – une classe d’équivalence – d’une taxinomie ou plan de classement. Ce que les statisticiens nomment « coder » mais aussi « qualifier »
Derrière cette double compréhension du verbe « catégoriser » il y a la dualité des points de vue de Linné et Buffon qu’analyse Foucault dans « Les mots et les choses« .
Pour Linné, il y a d’abord un système qui repose sur le fait de choisir – parmi tout les traits disponibles – certains d’entre-eux, les caractères, qui vont servir à construire une classification, en excluant les autres traits. Cette sélection, a priori arbitraire, est pour Linné justifiée car les genres, catégories, ou classes d’équivalences sont réels. Les caractères sont la manifestation non équivoque de la réalité des genres dont ils dépendent. On a là un point de vue réaliste quant au statut des catégories.
Au système de Linné, on oppose la méthode de Buffon qui s’inscrit plus dans une perspective nominaliste et pour laquelle les catégories sont des conventions et n’ont pas de réalité naturelle. Dans ce contexte, le choix de quelques critères de classification qui vaudraient pour toutes les situations et de manière générale n’est pas acceptable.
A l’approche top-down et systémique de Linné, Buffon propose une approche bottom-up de catégorisation qui prend en compte des logiques locales et des procédures comparatistes selon lesquelles une catégorie n’existe que dans l’analyse des similitudes et des différences avec une autre catégorie donnée.
De plus, dans la démarche de Buffon, il y a des glissements et des continuités entre les catégories qui évitent la rigidité qui est le fruit des coupures franches et universelles des taxinomies ontologiques. Si le plan de classement est définitif chez Linné , il est seulement provisoire chez Buffon.
Les taxinomistes théoriciens sont spontanément attirés par la démarche de Linné et se méfient de l’approche de Buffon qui fluctue en fonction des cas rencontrés.
Et pourtant : tout ceux qui eu a faire un travail de codage, c’est à dire de placer des cas et des singularités dans des catégories et des plans de classement, ont bien senti que chaque cas menace de faire exploser le beau plan de classement. Ces pratiques locales, nous dit Alain Dérosières dans le domaine de la statistique :
« … sont souvent le fait d’agents oeuvrant dans les ateliers de chiffrement et de saisie, selon une division de travail où les chefs s’inspirent des préceptes de Linné, tandis que les exécutants appliquent, sans le savoir, la méthode de Buffon » HRS p. 296.
Voilà une explication de la division du travail à la lumière des catégories dont il faudrait peut-être se souvenir.
Bonsoir,
La question des catégories et la réfutation de leur caractère «figé» et «boîte étanche» a aussi été récemment étudiée par E. Sanders et D. Hofstadter sous l’angle de l’analogie.
[Reply]
En somme, on retrouve la distinction entre stratégie des chefs et la tactique de ceux qui font le travail sur le terrain.
[Reply]
Dans la catégorisation du monde, je me suis toujours demandé si l’origine n’en était pas la nécessité de la comptabilité des ressources et l’agencement physique de celles-ci. Le grain, l’huile, etc. qui sont à conserver pour le fonctionnement domestique du domaine. Ainsi la catégorisation devient un outil de gestion économique.
Et si par la suite le système d’arbre des catégorisations (à l’opposé du graphe) n’est pas la simple traduction de boîtes physiques dans lesquelles un objet peut être ici et pas là.
[Reply]