La césure chez Quignard

Dans Les Désarçonnés, le style de Quignard est proche de celui des Petits Traités : beaucoup de chapitres en chiffres romains (qu’on ne sait plus lire quand il commence à y avoir des C et des L), un texte parsemé d’astérisques (*) qui l’interrompent régulièrement, paragraphes et phrases isolés, parfois un chapitre qui fait une phrase.

L’art du découpage, et notamment dans l’utilisation des astérisques, m’a vraiment impressionné. Ils procurent une légèreté formidable dans la lecture ; c’est un peu comme si chacune de leur apparition nous disait :

“Ne t’inquiète pas de garder en mémoire ce que tu viens de lire pour apprécier la suite”.

Alors on continue, soulagé, en faisant confiance à l’auteur.

Tout l’inverse du style proustien avec ses phrases qui n’en finissent plus, au point qu’il faut, comme le rappelait Maryanne Wolf (Proust and the Squid), faire des efforts de concentration importants pour ne pas oublier le début de la phrase qu’on est en train de lire.

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On n’a pas peur de perdre le fil avec Quignard. Et d’ailleurs, on se délecte à se laisser aller, comme si on avait reçu la permission de lire différemment.

Fini les transitions qui lissent le texte. Fini le lit continu du fleuve comme métaphore du récit : s’il fallait rester dans la métaphore aqueuse, il s’agirait plutôt d’une source jaillissante qui devient torrent avant de re-disparaître dans les entrailles de la terre.

Paradoxalement, la discontinuité du texte fortifie la continuité de l’attention là où la continuité du texte peut favoriser l’inattention. Cela va également dans le sens de ce que disait le géographe François-Michel Le Tourneau qui remontait un affluent de l’amazone dans le documentaire Expédition Mapaoni – L’inaccessible frontière : les parties calmes du fleuve sont redoutables parce que monotones, la où les franchissements d’obstacles et de cascades – ces ruptures topologiques– demandent une attention de tous les instants.

*

Mais il ne s’agit pas pour autant de découper un texte en mille morceaux pour arriver à faire ce que fait Pascal Quignard. On baigne ici dans une écriture qui procède d’une savante organisation des découpages et de l’alternance de styles (récit, citation, conte, mythe, essai, etc.) de rappels et de renvois (on pense à un thème musical) et qui nous procure un plaisir de lecture dont les trames, il faut bien l’avouer, nous échappent en grande partie.

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