1 Juil 2012, 5:39
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Généalogie d’un lecteur (2) : L’écriture du lecteur

Suite de la note Généalogie d’un lecteur (1) : l’autonomie de la lecture


Probablement induit par le type de livres que je lisais (des essais et pas de romans), le simple acte de lecture a dû composer avec une pratique d’annotation. Une double pratique pour être exact, d’une part du surlignage, des flèches, des croix, etc. et d’autre part quelques mots placés en marge comme des étiquette.

Dans l’ordre, et pour autant que je puisse me le rappeler de bonne foi :

  • Un simple trait vertical soulignant l’importance d’un paragraphe ;
  • Pratiquement en même temps, le surlignage de phrases et d’expressions. Pour les premiers livres, le surlignage se faisait proprement : au crayon à papier et à la règle (aujourd’hui le surlignage est rapide et le geste négligé, il n’est pas rare qu’un surlignage raye toute la phrase que pourtant il voulait soutenir) ;

 

  • Quelques mots placés en marge comme étiquette ;
  • Des annotations que je qualifierais de signalétiques : flèches, croix, points d’exclamation et d’interrogation ;
  • Pour les livres de référence, qui faisaient l’objet d’un travail de fond, des post-it de balisage placés tout au long du livre.

Ces nouvelles écritures (alphabétique, graphique, signalétique) se sont greffées à la pratique de la lecture. Elles donnent du relief et de l’intensité au texte. Du “maquillage” dirai-je, si le terme n’avait pas tendance à devenir trop synonyme de camouflage.

Ce sont ces écritures qui me sortirent du statut de “tête de lecture”. Au processus de la lecture s’ajoute donc un processus cognitif de sélection et de choix (que souligner, et quelle signalétique utiliser ?). Cette écriture est un étiquetage de livre ; limitée, elle place des repères “pour plus tard”, et “pour soi” ; on joue au petit Poucet.

On dit souvent que l’on ne revient pas ou peu sur des propres annotations, c’est oublier que souligner un livre c’est aussi et en même temps écrire dans son cerveau.

Ce nouveau lecteur que j’étais, en s’initiant à la délinéarisation par l’annotation, restait quand même assigné à respecter l’unité indissociable d’une oeuvre. Ainsi mon programme de lecture était un long train auquel se raccrochaient de nouveaux wagon comme autant de livres lus et finis un par un – une série linéaire. Cela dura plusieurs années avant que le train de lecture ne fasse place à un jardin de lecture.

Pour autant, je ne passerai pas de l’analogie du “train de lecture” à celui de “jardin de lecture” sans avoir apporté une dernière précision : cette lecture mécanique qui me fait me comporter comme une “tête de lecture” n’est pas une lecture de jeunesse qu’il faudrait dépasser. Elle est en effet très utile en ce qu’elle permet quelque chose de tout à fait étonnant : de lire sans comprendre.

Imaginez qu’il faille tout comprendre de ce que nous lisons, il faudrait alors que nous possédions toutes les connaissances et tout le vocabulaire pour pouvoir lire un livre, se serait impossible et de plus cela supposerait qu’il y ait des programmes de lectures séquentielles pour s’assurer que l’ordre des connaissances sollicitées soient maîtrisées a priori avant chaque lecture d’un livre.

Cela n’est pas un scénario-fiction puisque c’est le principe des manuels scolaires.

Être capable de lire des mots, des phrases et parfois des paragraphes et des pages sans comprendre, ou plutôt sans tout comprendre, est le moteur même d’une lecture apprenante. Les annotations sont les pitons, spits, coinceurs, crochets, etc. qui nous permettent de planter nos marques dans le granit du texte.

Suite : Généalogie d’un lecteur (3) : car lire c’est se soumettre à l’écriture

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La « page » entretient en effet avec la « vigne » des rapports étroits : dans cette relation, que pourrait-être l’annotation sinon le plant enraciné dans la terre du livre ? Mais la main qui plante poursuit des stratégies très variées, soit qu’il s’agisse de tatouer à tâtons la page (ou parfois avec soin et méthode), pour repousser les limites de territoires vierges et inconnus, soit qu’il s’agisse de se rendre présent à la lecture (http://goo.gl/FQOtb), en surlignant ou soulignant (ces deux opérations diffèrent : http://goo.gl/pTN3m), quand l’annotateur ne cherche pas plutôt à préparer le terrain d’une dissertation, d’un article de recherche ou d’une conférence (mais la typologie des formes et des fonctions est bien plus large). Dans tous les cas, pourtant, l’annotation participe bien d’une capitalisation de la lecture, d’une « prospection de surface », chargée de développer l’expérience locative (au 16ème siècle, le terme « annoter » désigne l’apposition d’une inscription en regard d’un texte mais également le fait d’inventorier les biens d’une maison) et peut-être même d’un rêve : « l’écriture du temps de la lecture, une lecture sans déperdition, une lecture-palimpseste, déposant des traces sur le texte. Une lecture qui, pas à pas, transformerait le texte en carte, structurée, hiérarchisée, orientée et signifiante, lui juxtaposant une topographie de lieux interconnectés se prêtant à tous les voyages ultérieurs. Tel un périple marginal, jalonnant le rivage du texte et parfois s’enfonçant à l’intérieur des lignes » (Christian Jacob). Ainsi la marche, la marque et la marge se sont-elles très progressivement transformées pour nous permettre aujourd’hui d’emprunter des chemins de traverse et de braconner.

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