« Vous ne contrôlez rien ! »
C’était au mois d’avril dernier, lors de l’assemblée générale de Carrefour. Gros et petits actionnaires sont invités à poser des questions et à voter les résolutions proposées par la direction du groupe.
Un petit porteur va intervenir, et le moment est d’anthologie :
Bien sûr, les rires de l’assemblée masquent un peu son message et on retiendra surtout ses anecdotes sur la chiasse et ses péripéties avec la qualité et les tailles des produits textiles. Pourtant, à deux reprises, il martèle son message à la direction de Carrefour : « Vous ne contrôlez rien ! ».
C’est rien de moins que la qualité des produits alimentaires, la logistique, le respect des tailles et de la qualité dans le textile…pour finir sur les performance financière qui sont reprochés aux dirigeants.
Si l’intervenant est si drôle, c’est parce que l’on sait tous que c’est bien vrai, ce qu’il raconte. Il porte un discours très commun dans un lieu qui généralement ne produit pas de tels discours. Un tel discours est inouïe. Tout le monde le connaît et l’a entendu, mais jamais ici, en ce lieu. Ces propos sont aussi stupéfiant que de voir une fourmi parler à un éléphant. Un discours qui vient d’une couche basse est toujours stupéfiant quand il remonte ainsi directement dans les couches hautes.
Quand l’intervenant dit : « vous ne contrôlez rien! » je crois que ce n’est pas dans le sens d’une maîtrise totale. Plutôt dans le sens très simple de « vous ne vérifiez rien », « vous laissez faire », vous êtes dans un état d’incurie, pour réutiliser le terme dont j’ai parlé dans « Qu’est ce que l’incurie de la puissance publique« .
Face à cette intervention, le PDG répond que tout cela le renforce dans son initiative actuelle qu’il nomme : « réinveter l’hypermarché ». Je lui conseillerai bien de commencer par réinventer la consommation ainsi que d’assumer sa responsabilité sociétale, sans se défausser de toutes les externalités que produit l’hyperconsommation.
Dans un autre domaine, l’exemple d’EDF est également révélateur. La série d’article de Mediapart sur le sujet est très intéressante, montrant combien l’entreprise a négligé tout le domaine de la maintenance (baissant les crédits, mise en place de sous traitance en cascade, …) pour réaliser des rachats à l’étranger pour le moins hasardeux.
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En tant que sous-traitant, ça m’a effectivement toujours étonné que l’on sous-traite à fond, jusqu’à son système nerveux. Rien que la masse de couches de management à chaque changement d’entreprise, les marges de chacun, les loyautés qui ne vont plus au même endroit… tout ça est une catastrophe et mène à du j’m’en-foutisme hérigé en système.
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Sur le même sujet, je conseille les articles de Michel Volle concernant France Télécom et (notamment) la qualité de service :
http://volle.com/opinion/ftfin.htm
En effet, les grandes entreprises ne contrôlent plus rien, elles externalisent leur coeur de métier (*) et se désintéressent de la compétence et du talent. Je suis actuellement prestataire d’un grand opérateur de télécom (autre que celui cité plus haut) qui est bien content d’avoir recours à mes services car leur département informatique interne refuse de faire le boulot demandé. Ce que je vois au jour le jour chez ce client est une banalisation de l’absence de contrôle sur sa propre production (largement externalisée et, quand elle ne l’est pas, fournie à différents services qui ont du mal à se parler entre eux).
(*) contre-exemple remarquable : Google (et, j’imagine, Amazon, Yahoo, Oracle, Intel…)
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