Prêts pour la nouvelle réorganisation ?
Cette fois c’est la bonne. La nouvelle réorganisation va changer la donne.
Comme chaque année, dans les grandes SSI et chez les intégrateurs, c’est la nouvelle réorganisation : chaises musicales, re-découpage des équipes, réorganisation soit autour des offres technologiques soit autour des marchés et des industries, c’est selon.
Tout change certes, mais en fait rien ne change. C’est l’éternel retour du même.
Mais pourquoi ces ré-organisations successives ne sont-elles pas évaluées ? Si les organisations changent, on peut imaginer que c’est pour faire mieux, pour pallier à des dysfonctionnements, non ? Le fait est que l’on change régulièrement sans qu’aucune évaluation ne soit faite, et la plupart de ces réorganisations sont motivées soit par les nouveaux dirigeants qui veulent marquer leur règne souvent éphémère, soit pour désamorcer une crise larvée en repoussant au lendemain, c’est-à-dire à jamais, la prise en compte des réalités.
Il y a au moins trois explications à ce constat :
- la première est que, malgré la taille humaine de ces structures de plusieurs dizaines de milliers de personnes, ce sont toujours de petites équipes autonomes, et disposant de leur propre P&L à défendre, qui sont au cœur du dispositif. Vous pouvez réorganisez comme vous voulez le tout, les parties resteront fondamentalement autonomes dans leurs décisions.
- la deuxième est que le modèle d’affaire est fondamentalement en mode passif et attentiste. On ne décide pas, ou infiniment peu, du Business. On ne fait que répondre à un besoin client. Nous sommes dans la nécessité permanente d’ajuster des offres à un marché déjà existant et mature : on ne modifie ni le marché ni la demande. Si les éditeurs de logiciels ou les offreurs de solutions de Cloud Computing le peuvent, pas les SSII et les intégrateurs. De fait, le discours des intégrateurs est toujours très consensuel, il se veut neutre ou agnostique en matière de solutions et de technologies. Mais cette neutralité présentée comme une garantie de conseil et d’indépendance vire dans la réalité à une fadeur où les convictions n’ont pas leur place.
- la troisième, qui est une conséquence de la deuxième, est qu’il n’y a aucune innovation possible. D’ailleurs, quelqu’un peut-il me citer une innovation produite par une grande SSII ou un intégrateur ? La raison en est qu’il n’y a, structurellement, aucun investissement : pour commencer à travailler sur un sujet, il faut nécessairement qu’un client ait mis de l’argent sur la table, et l’on retombe sur le deuxième point. Après tout, pourquoi investir quand on sait que les grands projets passeront nécessairement par nous ? Il suffit d’attendre.
Tout va bien donc, puisque les résultats justifient et soutiennent cette logique. Mais alors, pourquoi ré-organiser ?
C’est que l’outil de production, dans le cas qui nous concerne, c’est 100% des hommes et des femmes. Pas d’usine, pas de centre de production, peu de services automatisés (à part quelques belles réussites commerciales comme Atos Worldline) : uniquement du temps d’ingénieur à vendre. Ces fréquentes réorganisations ont en fait un double objectif :
- ne pas prendre trop de retard sur l’évolution du marché (une démarche de type assurantielle) ;
- gérer l’insatisfaction chronique des employés en redistribuant les cartes (sur ce sujet, voir La prolétarisation dans les Sociétés Informatiques).
Sur le deuxième point, il faut bien être conscient que l’avenir des intégrateurs, notamment à la lumière des offres de Cloud Computing s’est très sérieusement obscurci. Moi-même, je pronostiquais une réduction de 50% du nombre de salariés chez les intégrateurs, en Europe, d’ici 2015. La projection pouvait sembler quelque peu irréaliste, mais voilà qu’IBM, le n° 1 mondial du secteur, commence à songer à une nouvelle réorganisation qui « prend le taureau par les cornes », si je puis dire, puisqu’on apprend qu’IBM envisage de se séparer des trois-quarts de ses 400 000 employés d’ici 2017, soit 300 000 personnes.
On est donc dans les temps pour la prochaine grande réorganisation.
Tu oublies de signaler le gâchis humain monstrueux engendré par ce mécanisme de réorganisation permanente. Je ne sais de l’œuf ou la poule, si les réorganisations engendrent le turn-over ou si le turn-over implique les réorganisations, mais le résultat est le même : mal être, insatisfaction et turn-over démentiel (ce qui d’après le management des SSII est une raison du faible investissement dans l’innovation… Mais ! Oui ! Mais ! Oui)
A titre personnel, en trois ans de SSII : deux entreprises, 5 réorganisations. Bilan : Bye Bye SSII et c’est une décision qui n’a pas été simple à prendre, car j’y ai appris un métier et comme tu me l’as toujours dit, les SSII ont la taille critique et l’influence suffisantes pour réellement faire bouger les lignes, mais j’en suis arrivé à la conclusion qu’elles ne le veulent pas vraiment. Dommage !
Il y aurait tellement à dire sur les politiques d’investissement, l’innovation et la fadeur et le manque de convictions sur des solutions dans les SSII (même pour celles développées dans le cadre d’une mission pour un client), mais, au final, tu le dis bien : ce que vend une SSII, c’est du temps ingénieur, je dirais plutôt de la chair à canon ou pour reprendre les termes d’un de mes anciens patrons (victimes d’une de ses réorganisations), de la viande…
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Oui mais si tu ne te laisse pas faire et que tu n’entres pas dans la danse (oublie le client et la recherche du progrès, on s’en fout) tu seras toujours déçu !
En même temps toutes les grosses boîtes passent la même musique…
Ou alors tu changes de style musical !
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A côté d’IBM, on peut voir les turbulences du côté d’EDS depuis quelques années, qui vont aussi dans le sens de la réduction d’effectif.
Maintenant, est-ce que c’est dû aux offres des éditeurs, comme celles autour des PaaS ou des Saas ? Le coeur du métier des SSII est au départ de gager sur l’incapacité des entreprises à comprendre que maîtriser l’informatique est aussi important que maîtriser les processus. Tant que l’informatique sera traité comme un achat de fournitures, il y aura de la place pour les SSII 🙂 Maintenant, si les grosses SSII ont périodiquement des difficultés et font le yoyo sur la balance, et c’est extrêmement bien mis en avant, c’est que ce sont des petites équipes qui : 1) n’ont concrètement besoin de la structure que pour le commerce, 2) ne permettent pas aux grosses SSII d’être « intellectuellement » solides (même sans parler d’innovation), 3) et ne permettent pas à la SSII de rentrer dans l’ère industrielle de l’économie d’échelle.
En tout cas : toujours prêt pour la nouvelle réorganisation, c’est aussi ça l’Agilité !
« disposant de leur propre P&L à défendre »
P&L ?
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