Jouir de l’avenir

Dans sa Vie du lettré aux éditions de minuit, William Marx évoque la figure rare, trop rare, de la femme lettrée. Il prend pour exemple Émilie du Châtelet, étonnante figure des lettres et des sciences qui introduisit notamment les théories de la physique newtonienne en France (la lecture de l’article de wikipédia vaut le détour).

Dans son « Discours sur le bonheur  » de 1779, madame du Châtelet décrit la quête du savoir et le goût pour l’étude de la manière suivante :

« L’amour de l’étude est de toutes les passions celle qui contribue le plus à notre bonheur [car] on y trouve renfermée une passion dont une âme élevée n’est jamais exempte, celle de la gloire. »

Ce que précise William Marx en écrivant :

 » La gloire propre du lettré provient essentiellement de la postérité : c’est la dessus qu’il fonde son existence ». p.29

On remarquera tout de suite la vanité de l’espérance de gloire à venir, mais, toujours est-il que le plaisir que procure cette vanité « n’est point une illusion, précise madame du Châtelet, car il nous prouve le bien réel de jouir de notre réputation future ».
Étonnante affirmation, qui fait d’ailleurs écho aux textes de Cicéron sur l’amour propre, et que William Marx reformule dans une phrase qui m’a subjugué :

« Même dans le présent le plus immédiat, nous avons besoin de jouir de l’avenir. »

Or, qu’est-ce que cela veut dire : « jouir de l’avenir » ?

Pour jouir de l’avenir, il faut un investissement ; on ne peut pas jouir de l’avenir si on ne travaille pas à une forme d’investissement. Je crois que c’est çà qui est important.

Aujourd’hui la jouissance n’est qu’une jouissance immédiate, du maintenant, du hic et nunc à tendance pulsionnelle. Aussi, à bien des égards « jouir de l’avenir » nous apparaît comme une contradiction dans les termes. Dès lors, il n’en et que plus important de cultiver cette capacité  à jouir de l’avenir. Il ne s’agit pas là de se retenir, il s’agit bien de jouir maintenant, non pas de ce qui est mais de ce qui adviendra, précisément parce que l’on travaille à cet avenir. On oeuvre et on s’investit sur le long terme, ou tout du moins sur ce qui sera après nous. L’avenir est ouvert, rien n’est une fatalité, et c’est la raison pour laquelle on peut s’y engouffrer, s’y investir, pour lui donner un visage qui nous donne satisfaction.

C’est là, sur cette possibilité de jouir de l’avenir que se greffent les problématiques d’une économie libidinale. Dans ce contexte, une économie libidinale est une économie dans laquelle on peut « jouir de l’avenir » : jouir maintenant de l’avenir auquel on travaille et pour lequel on oeuvre.

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