Bouvard et Pécuchet sont-ils des hackers ?
Ce rapprochement entre les protagonistes du roman éponyme de Flaubert et la culture Hacker m’est venu tout naturellement. Après tout, ne font-ils pas des expériences tout le temps ? Ne sont-ils pas autodidactes dans leur apprentissage ? Ne font-ils pas çà de manière désintéressée, par pur plaisir d’apprendre et de mettre en pratique ?
Bref, n’a-t-on pas là les prémices de la figure du hacker qui a émergé au siècle dernier ?
« Les auteurs nous recommandent »
Suit une liste de recommandations contradictoires et un manque de clarté qui fait s’exclamer Pécuchet :
« j’exige qu’on m’en donne la réponse! ».
Tant de paramètres et de conditions particulières font que Pécuchet en arrive à se demander :
« où est la règle, alors ? et quel espoir avons nous d’aucun succès ou bénéfice ? ».
Or le hacker ne cherche pas la vérité, il cherche la résolution de son problème. Et de plus, il ne se préoccupe pas de savoir dans quelle discipline il se trouve, comme pour s’assurer qu’il ne sort pas les clous.
La pratique est au coeur de l’activité du hacker. Aussi fait-il plus corps avec les obstacles qu’il doit surmonter qu’avec le champ disciplinaire au sein duquel il serait sensé demeurer.
Pécuchet est tout sauf habité par l’esprit pratique et empirique du hacker. Dans sa dispute avec le Docteur il lui lance :
« Vous êtes un empirique alors ? »
et lorsque le Docteur lui répond
« Qu’il faut avoir de la pratique »
à quoi il répond tout de go :
« Ceux qui ont révolutionné la science n’en faisaient pas, Van Helmont, Boerhaave, Broussais, lui-même. ».
« les ressorts de la vie nous sont cachés, les affections trop nombreuses, les remèdes problématiques – et on ne découvre dans les auteurs aucune définition raisonnable de la santé, de la maladie, de la diathèse, ni même du pus! »
Tout cela motiverait le hacker, alors que cela déprime nos héros.
Ils ressemblent plus à des acteurs qu’à des hackers. Tels ces acteurs qui se « mettent dans la peau » de leur personnage afin de mieux l’incarner, façon « Actors studio ».
Ils posent à chaque nouvelle discipline, se donnent des airs ; il n’y a jamais de transduction dans leur pèlerinage « culturel ».
In fine, ils ne changent pas. C’est peut-être çà la fatalité de la bétise, ne pas être capable de changer.
La bétise s’oppose à l’intelligence. « Intelligence » vient d’interlegere de inter, entre, et legere, choisir. L’intelligence est donc cette faculté de discernerment, cette faculté de distinger.
A ce titre, Bouvard et Pécuchet sont-ils intelligents ? Peut-être pas ; ils distinguent certes, mais à tout va et avec précipitation. Ils cherchent plus à plaquer des distinctions qu’à les découvrir. Chacune de leur aventure finie dans la confusion ; c’est toujours l’esprit confus qu’ils se tournent vers une nouvelle discipline.
Pour finir, le hacker s’inscrit dans une communauté, avec des pairs. Bouvard et Pécuchet eux, sont dans un tête à tête stérile et, de plus, se servent des connaissances acquises pour aller chercher des noises aux autorités locales : le médecin, le curé, l’agriculteur, etc.
Je me suis demandé pourquoi je riais aussi facilement de leur déboires. Car le spectacle de la bétise est souvent génant. Finalement, je me suis dis que si je continuais à rire, c’est parce que, malgré tout, ils avaient quelque chose que même les plus intelligents n’ont pas toujours : l’amitié.
Quoi qu’il en soit, on apprend énormément à suivre les pérégrinations de ces deux imbéciles. Et je dois reconnaître que c’est un peu ma propre bêtise que j’apercevais et que je traquais dans les pérégrinations des deux compères.
[…] ** Juste au moment de cliquer sur “publish” dans l’arrière-cuisine de mon blog, je vois que Christian vient de publier à l’instant un nouvel article dont la lecture me ravit, et qui ne me semble pas sans rapport avec le présent billet. […]