L’arrière saison
Le titre et la couverture de ce roman n’avaient pourtant rien qui puisse m’attirer. Tout laissait transparaître un romanesque autrichien « fleur bleue » que je ne goûte guère. On m’avait même dit, en me conseillant l’ouvrage, « qu’il ne s’y passait rien » mais, pourtant, que sa lecture était envoûtante et prenante.
Comme la personne qui me le conseilla était toutefois digne de confiance, j’achetai le livre il y a maintenant plus d’un an. Depuis, il était resté dans mon bureau et, chaque fois que mon regard croisait la couverture, je le prenais en main en le retournant pour lire une fois de plus la quatrième de couverture qui précisait qu’il s’agissait là d’un chef d’oeuvre inégalé aux yeux de Nietzsche. Aux réticences que j’éprouve vis-à-vis de la littérature romanesque s’ajoutaient l’épaisseur de l’ouvrage avec ses 650 pages.
A quoi tient qu’un jour, à un moment donné, parfois tout simplement parce que rien ne nous y oblige, et peut-être parce que le livre avait déjà purgé sa longue quarantaine, je le pris pour, cette fois, lire les premières pages. Le charme opéra immédiatement : le style, la richesse des conjugaisons et du vocabulaire, tout ce qui peut par ailleurs être perçu comme désuet ou précieux me fit immédiatement l’effet d’une bouffée d’oxygène.
Je commençai dès lors à respirer et à caler mon souffle sur une prose et une narration qui, pourtant, me rappelait à chaque instant, comme par contraste, ma propre médiocrité. Mais ce ne fut pas pour autant le sentiment de culpabilité qui prédomina, bien au contraire.
J’étais comme sur un nuage. Et, durant toute l’oeuvre, je n’ai cessé d’avancer avec la crainte de devoir en redescendre. Avec la peur que tout l’édifice de cristal n’éclate sous la pression de la réalité. Mais dans cette oeuvre, si l’orage gronde et menace, ce n’est que pour rapprocher les âmes qui veulent s’abriter en profitant de l’hospitalité. Car, au petit matin, on s’apercevra qu’aucune goutte n’est tombée.
L’oeuvre elle-même s’inscrit dans la lignée des « romans d’éducation » dont Goethe était pour moi la seule référence mais, contrairement à la lecture des oeuvres de ce dernier, l’Arrière saison m’a fait entrevoir à quel point les techniques-de-soi sont nécessairement entrelacées avec les techniques-du-nous dont la courtoisie, la politesse, l’hospitalité et l’éloquence sont certainement les toutes premières figures, comme les fondations, de l’éducation.
Comme à chaque fois qu’une oeuvre nous bouleverse, elle nous apparaît comme incommensurable. En parler devient presque douloureux tant les sentiments qu’elle a suscité en nous sont inscrits dans l’écrin d’une intimité que la pudeur nous interdit de formuler. Peut-être devrais-je me contenter à mon tour de recommander l’oeuvre en précisant qu’il ne s’y passe rien, c’est à dire rien de dicible tant l’idéal esthétique et moral qui s’y exprime a de quoi couper le souffle. Aussi faut-il rendre hommage au travail effectué par la traductrice, Martine Keyser, qui nous permet de goûter cette œuvre majeure de la littérature de langue allemande.
Quel souffle aussi pour cette analyse ! Je vais, j’en suis quasi sûre, me plonger dans cet ouvrage pendant mes vacances, très proches à présent. Il a tout pour me plaire.
[Reply]
Les coïncidences suscitées par les moteurs de recherche m’amusent parfois ; je suis venue ici par le mot clé d' »arrière-saison », mais en pensant au court roman que Philippe Besson a inventé à partir d’un tableau de Hopper – agréable lecture de vacances, qui ne doit pas certes égaler le roman dont vous parlez (et qui finira par me revenir en mémoire un jour que je traînerai entre les rayons sans savoir quoi choisir). Un article plus bas, vous êtes en Dordogne, où je me trouve également en ce moment ; je n’aurais pas cependant pensé à la comparaison fort amusante que vous faites (plus que les noyers, ce sont les bottes de foin qui m’arrêtent)… Je forcerai le hasard pour repasser par ici.
[Reply]
[…] dans ses «romans d’éducation», car cette littérature allemande (et je pense également à l’Arrière saison de Adalbert Stifter, que m’a fait découvrir Caroline Stiegler) montre bien à quel point les […]
A Christian Fauré, merci de votre article sur L’Arrière-saison, livre que j’ai aimé traduire. L’altitude me manque à présent. Mais je découvre votre site et celui de Bernard Stiegler. Tout ne serait donc pas perdu? Je me demande où a lieu l’atelier du 2 avril (techniques de soi). Pouvez-vous m’orienter? Bien à vous , MK
[Reply]
Martine, l’atelier du 2 avril à lieu à la Maison des Associations du XVIIème , 25 rue Lantiez , 75017 Paris. Plus d’informations sur http://arsindustrialis.org/atelier-techniques-de-soi.
[Reply]
Un chef d’oeuvre absolu, mais qu’on ne se trompe pas: il ne parlera qu’a celui qui est pret a le recevoir . J’en ai mis 20 ans.z
[Reply]
Merci pour ce beau commentaire qui montre, au delà des mots, l’émotion que ce livre vous a occasionné. Il dénote avec les critiques qu’on trouve sur lui sur Babelio ou « Reflets du temps ». Elles émanent manifestement de personnes qui n’ont pas perçu la réelle dimension de l’ouvrage.
Merci à Mme Kayser pour sa traduction exigeante (il m’est arrivé plusieurs fois de consulter mon dictionnaire au cours de la lecture)… Mais quelle élévation !
Absolument inconditionnel de Stifter, je recommande ce livre avec enthousiasme.
[Reply]
Tu le vends bien.
[Reply]