Les années 30 sont devant nous
Ce titre est le titre d’une conférence prononcée par Gérard Granel à la New School for Social Research de New-York en novembre 1990.
Gérard Granel précise d’emblée ce qu’il faut entendre par « les années 30 » :
Il ne s’agit ni du rag-time, ni des voitures bugatti au long nez, ni de Maurice Chevalier. « Les années 30 » : l’expression désignera ici la période où s’établirent en Europe […] trois types de pouvoir qui, malgré de nombreuses et importantes différences, eurent pour caractéristique commune de prétendre détruire et remplacer par un « ordre nouveau » celui dans lequel jusqu’alors cette même Europe – mais aussi l’Amérique – s’étaient reconnues économiquement, politiquement et spirituellement.
Aristote nous avait prévenu : » ce n’est pas l’infini qui commande ». Et pourtant c’est en tant que logique de l’infinité que la modernité avance. Car l’infinité est au coeur de la modernité, à l’image des travaux en mathématique et de la crise des fondements du début du XX° siècle. A ceci il faut rajouter la compréhension de nos sociétés contemporaines comme constituant des « corps productifs ».
Ainsi donc :
Si l’on admet que la détermination centrale des sociétés modernes est le fait qu’elles constituent des corps productifs, et que le concept central de toute analyse de la production est le concept de travail, alors notre commencement est tout tracé : il faut d’abord éclaircir le caractère du travail moderne à partir de la caractéristique ontologique qui imprime sa marque à tous les phénomènes modernes et que nous avons nommée l’infinité.
Il y a deux aspects du travail : d’un point de vue existentiel le travail « désigne cette forme de vie dans laquelle l’existence est contrainte de se dépenser au profit exclusif de la subsistance ». Et Granel de préciser, dans ses tournures de phrases dont lui seul à le secret :
La biographie du travailleur, c’est qu’il est resté en vie.
Puis il y a le travail du point de vue catégoriel, où travail signifie fabrication, la « poesis » en tant que « production ». En ce sens, et au coeur de la conception moderne du travail :
Travailler consiste à désolidariser les matière de leur forme. Ou plutôt à pousser aussi loin que possible la réduction des matières à une généralité amorphe – celle là même qu’exprime silencieusement le mot français « matériau »[…] L’essence de la production consiste dès lors au moins en ceci, qu’en elle la matière tend vers le matériau et la forme vers la formule.
Le coeur du problème de la modernité est là : si l’infini est partout, jamais l’infini ne fait ni n’ouvre un monde. On peut le voir partout mais on ne peut rien construire sur lui. A peine veut-on le saisir qu’il nous glisse comme le sable entre les mains.
Il y a donc toujours ce risque des années 30, ce risque que ne se craquelle une vision du monde qui voit partout l’infini et qui prétend, en même temps, le maîtriser totalement.
Car quand le monde et les choses se comprennent sur la base d’un leurre infinitiste, celui-ci en vient à « dévorer pour ainsi dire toute limite, externe ou interne », tel un trou noir au centre de nos sociétés.
Dés lors ce n’est plus simplement le monde qui devient commercial, c’est le commerce qui devient monde (avec ses soutiers et ses lampistes) : « World trade » devient « World is trade ».
Ce à quoi on assiste, c’est à l’infinitisation galopante dénoncée par Aristote, et l’on reparle alors de la chrématistique.
Ceux qui présentent le monde comme un infini, ceux-là même font naître en ceux qui les croient un besoin compensatoire, presque une pulsion.
Dès lors s’impose une logique du « keep evething under control« , et la logique des sociétés de contrôle s’emballe.
L’aberration est là, il faut contrôler l’incontrôlable, puisque le fondement de cette volonté de contrôle est le sentiment d’infinité eut égard aux enjeux et aux problèmes qui sont posés (le nombre des immigrés, le vaste monde, tous ces pays qui composent l’Europe, etc.). Le flou potentiellement innombrable des problèmes auxquels on va devoir faire face nécessite plus de contrôle.
In fine, un besoin de totalité.
C’est aujourd’hui, 6 Mai 2007, qu’une majorité de français a exigé une « uniformité sociale » et un « guidage politique », tout comme dans les années 30.
Mais qu’on ne s’y trompe pas,
la mobilisation totale ne signifie rien d’autre que la tentative de réduire la substance sociale à une sorte de matière plastique.
Il y aura des sursauts car, quand une porte se referme, c’est un monde qui peut s’écrouler. Mais, en attendant :
Eloignez-vous de la bordure du quai. Attention à la fermeture automatique des portes.
J’ai également beaucoup souffert de cette campagne, du résultat aussi car, malgré toutes mes réticences, je ne pense pas que Sego, ce soit comme Sarko…Je dis que j’ai souffert de cette campagne comme jamais auparavant en fait…Peut-être parce que j’ai vieilli et que je vois plus clair, peut-être parce qu’elle a été radicalement différente des précédentes. Je dois réfléchir à cela…Une hypothèse est peut etre que nous avons assisté cette fois à la liquidation de la culture par la communication… Nous avons élu un commercial, un excellent commercial…
Ce que je ne sais pas non plus encore expliquer profondément, c’est le sentiment malsain que m’inspire le haut-niveau de participation là où les médias ont choisi de relever un renouveau démocratique que je ne ressens pas du tout… Le renouveau des tensions, scissions, violences et infamies, lui, par contre, je l’ai bien ressenti
[Reply]
…
comme toujours, une analyse fine dotée d’une mise en perspective historique peu vue et/ou lue dans les médias.
J’ai le même sentiment d’occasion sociétale gâchée qu’au lendemain du référendum sur a constitution européenne.
Merci Christian
[Reply]