L’elenchus de Platon

Des petits détails de la vie quotidienne vous rappellent parfois de vieilles histoires. En voici une qui mérite d’être racontée, il s’agit de celle du terme d’elenchus

L’« elenchus » est cette méthode socratique qu’Aristote nomme « peirastique ». Elle suppose qu’une thèse est réfutée quand et seulement quand on peut déduire sa négation « des propres croyances du répondant ».
Chez Platon, la seule condition requise de la part de l’interlocuteur de Socrate est d’avoir l’honnêteté de dire ce qu’il pense et croît réellement. Par exemple dans le Gorgias (495a) ;

« Calliclès, tu es en train de démolir tout ce qui avait été dit auparavant et n’auras même plus les qualités requises pour chercher avec moi ce qui est vrai si tu te mets à dire des choses contraires à ce que tu penses. »

L’elenchus est une méthode de réfutation qui ne peut établir qu’une certaine forme de vérité, celle relevant de la cohérence. Si l’ensemble des propositions avancées par l’interlocuteur ne se contredisent pas, et sont donc cohérentes, alors la thèse doit être tenue pour vrai en ce qu’elle vérifie le principe de non-contradiction, critère dirimant de toute cohérence.

Cette méthode « elenctique » est la méthode de réfutation socratique par excellence dans les premiers dialogues de Platon. Jusqu’au Gorgias, les interlocuteurs de Socrate sont de jeunes gens dont la pertinence des connaissances n’est en aucune façon nécessaire au bon déroulement de l’entretien. Seule l’honnêteté de dire réellement ce qu’ils pensent est alors requise.
Le dialogue philosophique qu’instaure le Socrate des premiers dialogues platoniciens est donc sensé être accessible à n’importe quel quidam ; cela est d’ailleurs tout à fait en accord avec l’image que l’on peut se faire d’un Socrate discutant dans les rues d’Athènes au gré de ses rencontres.

Quand Platon abandonne cette méthode, c’est que les temps changent dans la cité athénienne : la figure du sophiste émerge. Ce sophiste qui instrumentalise le langage pour en faire un instrument de manipulation et de contrôle des esprits. Pour Platon, le sophiste corrompt le langage et, ce faisant, l’éducation de la jeunnesse (c’est aussi le motif de la condamnation à mort de Socrate).
Le sophiste, en technicisant le langage, ouvre une boîte de Pandore qui ne s’est jamais refermée (à ce titre, ceux qui font aujourd’hui du traitement automatique des langues seraient certainement maudits jusqu’à la dixième génération! ).
Au coeur de la démarche du sophiste, il demeure cette mauvaise foi, ce manque de vergogne qui va pousser Platon à s’intéresser de plus en plus à la pensée mathématique.

A cet égard, le premier voyage que Platon fit à Syracuse fût très certainement déterminant. Là, nous dit Cicéron :

« Platon s’est consacré aux Pythagoriciens et à leurs études, passant beaucoup de temps avec Archytas de Tarente et Timée de Locres » .

Comment ne pas opposer la figure d’Archytas à celle de Socrate ?
Archytas était un mathématicien brillant, un des premiers hommes politiques de sa cité, il a été élu et réélu général années après années. Alors que Socrate déconseillait l’étude des mathématiques avancées et s’était retiré impuissant de la politique athénienne, convaincu qu’elle était irrémédiablement corrompue.

Le Gorgias, qui fut vraisemblablement écrit au retour de ce premier voyage en Grande Grèce, peut donc être lu comme le dernier texte où « Socrate » ressemble encore au Socrate historique. Certes les questions socratiques par excellences comme celles de la vertu ou du bien vont perdurer, mais la façon et la méthode de les instruire n’est plus la même. Influencé par la rigueur de la méthode mathématique à laquelle il s’initie, Platon va résolument abandonner la méthode socratique de l’elenchus.

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Le climat d’une entreprise, ou d’une organisation, peut se mesurer à l’aune de la méthode enlenctique.
Si la méthode élenctique y est fréquemment utilisée, c’est qu’il règne un climat de confiance, propice à une bonne collaboration. Si la méthode élenctique est peu présente, c’est à l’inverse que la mauvaise foi empoisonne la collaboration.
Quand on veut conduire une démarche de management des connaissances, il est fort utile de connaître cet environnement.

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