21 Mar 2013, 12:07
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L’hypercriticité numérique de la France

equilibre

La France a de grandes opportunités dans le numérique : la couverture haut débit via le dynamisme et la maturité des acteurs Telecom, la puissance de calcul et les compétences en génie logiciel, une population qui utilise intensivement les technologies relationnelles, mais il lui manque pourtant cette pièce maîtresse dans sa configuration industrielle : l’infrastructure industrielle du numérique, le stockage des données, c’est à dire les datacenters, ces usines de l’économie numérique.

Le climat tempéré couplé au prix de son énergie, qui sont deux facteurs de choix dans l’implémentation de datacenters, n’y font rien. La fiscalité pousse les industriel du digital à aller vers d’autres territoires européens.

Ce qui fait que la France est dans une situation hyper-critique, c’est qu’elle a toutes les cartes en main, sauf une. Du coup, les infrastructures sur lesquelles elle a investi (les infrastructures de transport du numérique) servent à délocaliser encore plus rapidement les données qu’elle produit (aspirées par les infrastructures de transfert du numérique). C’est ce qui explique le caractère éminemment critique de notre situation nationale et européenne : la France exporte ses données aux US, elle alimente en data les industries américaines du numérique. A l’image de la balance commerciale, la balance des data est extrêmement et dangereusement déficitaire.

C’est ni plus ni moins que notre mémoire nationale numérique qui fuite (car un datacenter est un lieu de mémoire hyper-industriel).

Parce que nous ne disposons pas d’une infrastructure de stockage et de traitement des données qui fait tourner les industries culturelles et relationnelles du numérique, notre pays est contraint de subir une politique qui n’est pas la nôtre, que nous n’avons pas choisi et à laquelle pourtant nous nous soumettons. Il y a aliénation digitale dans la mesure où les données françaises ne sont pas stockées là ou elles sont produites, et l’on peut généraliser la situation : là ou nous investissons dans le numérique les autres en tirent les bénéfices.

Quelle politique de reterritorialisation des data faut-il mener, et comment stopper la vampirisation internationale des données ?

Ceux qui veulent jouer un rôle et peser sur la scène internationale ont déjà mené des politiques géostratégiques en matière de données : USA, Russie, Allemagne, Japon et Corée, mais surtout la Chine qui appuie déjà sa suprématie de demain à partir de ses datacenters (apparemment accompagnée de raid sur les datacenters occidentaux).

Mais nous de disposons pas de la latitude dont dispose la Chine pour imposer unilatéralement une reconfiguration de notre politique économique et industrielle numérique. Nos régimes politiques démocratiques, nos accords  européens et internationaux limitent fortement nos initiatives pour changer la donne. Là où la France arrive toutefois à se distinguer en matière de numérique, c’est à partir de sa politique fiscale, ce n’est donc pas un hasard si le rapport le plus important en la matière est le rapport Colin et Collin sur la Fiscalité du numérique.

Certains pays, dont la Russie et la Chine, lors du Sommet de Dubaï sur l’internet en Décembre 2012, prônaient un renforcement du contrôle des réseaux par les Etats, tandis que les Etats-Unis étaient plutôt partisans du maintien d’un statu quo, qui, de fait, leur est plus favorable, puisque c’est leur modèle économique et technique qui a servi à sa fabrication.

Il est ainsi facile pour les Etats-Unis et leurs champions du numérique, Google en tête, de prôner la démocratie et également la neutralité du net puisque c’est eux qui ont la main mise sur la racine des DNS d’une part et, d’autre part, ils ont déjà collecté les données dans leurs datacenters.

On voit bien que le débat sur la neutralité du net est lourd de conséquence et qu’il ne faut pas l’aborder avec une posture idéaliste : si les données sont externalisées et déterritorialisées, il sera difficile pour une nation de maintenir un principe qui rique de saper sa souveraineté ; et surtout dans un contexte où il y a une forte nationalisation du cyber-espace (pour ne pas dire que la guerre froide digitale a déjà commencée).

Enfin, il est par ailleurs inquiétant que le président Obama ait accéléré une nouvelle initiative pour la mise en place d’une zone de libre échange entre les Etats Unis et l’Europe dont le volet concernant les données numériques est étrangement, une fois de plus, en dehors des radars.

Et ce qui m’inquiète le plus c’est qu’il semble que la seule crainte du gouvernement Français, dans les futures négociations de cet accord de libre échange, soit la seule exception culturelle (toujours cette vision de la culture comme une réserve d’indiens). Et je me dis que si nous allons à la négociation avec les américains avec d’un côté la commission européenne et son paradigme concurrentiel et de l’autre la France avec son crédo « exception culturelle » nous allons à la catastrophe digitale.

De toute manière, tout accord de libre échange avec les américains sera un marché de dupe.

Une fois n’est pas coutume, je ne suis pas vraiment convaincu par cette position…

Autant sur des sujets comme l’approvisionnement alimentaire, l’éloignement et le nombre d’intermédiaires sont dangereux, autant pour la production de services et de données numériques, les risques me semblent bien limités, comparés aux avantages que nous avons à tirer de marchés extérieurs ouverts à nos innovations. L’important n’est pas tant qu’un service soit produit (au sens de hébergé, exploité) sur notre territoire national, mais qu’il ait pu être inventé, conçu et réalisé par notre économie, notre culture (et là les frontières nationales ne sont pas forcément un référentiel pertinent). Et idéalement qu’il ait pu être lancé à bas coût, sans trop de prise de risque avant de trouver son modèle économique, ce qui implique de disposer, sur le territoire et/ou à l’étranger, de solutions compétitives.

Ma réelle inquiétude est plus que l’on ne soit toujours pas capable de distiller à l’école quelques idées sur ce qu’est l’informatique (comment ça marche, comment faire un bon usage de l’existant, comment je peux moi aussi créer des services ou des contenus). Avoir quelques bonnes écoles et des ingénieurs brillants en génie logiciel ne suffira pas pour déclencher toutes les innovations, il faut une culture du numérique beaucoup plus diffusée.

Enfin, aborder la question de l’implantation des data-centers sous le seul angle fiscal me semble très réducteur. L’Islande, et la France dans une moindre mesure, bénéficient clairement d’un report de services étrangers qui ne veulent pas soumettre leurs données aux Patriot Act & DMCA états-uniens. Plutôt que par le dumping fiscal, je crois que l’on peut être une destination attractive en offrant un havre de paix aux données, afin qu’elles puissent circuler librement. Sans parler de la question, plus technique, des performance et de la latence: la notion de distance n’est pas encore prête d’être abolie sur les services à haute valeur ajoutée…

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Je crois que la fiscalité a beaucoup plus d’importance qu’un « havre de paix aux données, afin qu’elles puissent circuler librement ».
Mais il est vrai que cela ne fait pas tout, comme tu le soulignes.

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24 Mar 2013, 2:37
by jean-yves le moine

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Votre analyse est intéressante, mais je trouve que ses accents nationalistes sont trop prononcés.
Le danger provient surtout du fait d’avoir laisser ces datas et le pouvoir qu’on peut en tirer aux américains et non pas tant d’avoir mis nos données dans des data centers appartenant à des sociétés américaines qui les stockent souvent en Europe, d’ailleurs.
On a en France et en Europe de la difficulté à comprendre les changements de niveau logique de réflexion.
Par exemple, le business modèle de google n’est bien pas compris parce qu’il est passé à un niveau meta : je vais te donner cela et grâce à cela tu vas pouvoir créer de la valeur, mais moi Google, je vais gagner bien plus que toi (et même en agrégeant plusieurs de mes clients quasi exponentiellement) à partir de la valeur que tu crées.
Il en va de même pour les data. elles augmentent , elles sont partout, il faut les stocker. Mais pour les faire parler, il faut les structurer, il faut monter d’un niveau logique, passer à la meta-data.
Les sociétés américaines qui captent nos data dans leur data center, l’ont très bien compris contrairement à nous. Elles anticipent déjà le passage de la valeur des data aux meta-data. Et elles sauront alors très bien monétiser ces data, les leurs et les nôtres que nous leur avons « donné » innocemment et stupidement.

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Après quelques recherches pour objectiver mes propos, la fiscalité est très rarement mise en avant dans les facteurs déterminants des études ou articles que j’ai pu consulter… Je serais d’ailleurs très intéressé de voir une comparaison de la fiscalité moyenne d’un datacenter en Europe et ailleurs, en tenant compte des aides à l’installation (les élus sont toujours ravi d’avoir un bâtiment à inaugurer pour valider leur culte du très haut débit), de l’investissement public dans les réseaux (données et électricité), et du fait que ceux-ci sont rarement opérés par des PME mais plutôt par des grands groupes, donc beaucoup moins imposés que les start-ups de services en France…

En attendant, d’après la carte illustrant cet article de l’Usine Nouvelle http://www.usinenouvelle.com/article/ou-sont-vos-donnees.N169826 , en 2012, la France comptait 101 des 2245 data-centers dans le monde, ce qui en fait le 4e pays, bien loin devant la Suisse ou l’Irlande et les autres paradis fiscaux représentés… Voilà de quoi satisfaire notre fétichisme industriel national! 😉

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 » en 2012, la France comptait 101 des 2245 data-centers dans le monde, ce qui en fait le 4e pays, bien loin devant la Suisse ou l’Irlande et les autres paradis fiscaux représentés »
Sauf que les opérateurs qui les exploitent ne sont pas tous français… bien loin de là.

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