22 Jan 2013, 10:51
Défaut
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Confession d’un sauvage de la prise de note

Voici un témoignage personnel sur la prise de note, celle-ci est à distinguer de l’annotation.

Par annotation j’entends le fait d’écrire sur le support/ dispositif même qui affiche/publie l’objet annoté. Ce qui n’est pas le cas de la pratique de prise de note qui consiste à écrire sur un support/dispositif différent de la source.

Child with learning difficulties

Lors d’une réunion de travail sur les questions de l’indexation à l’IRI, il a été suggéré de s’intéresser à nos propres pratiques de prise de note, à nos « pratiques sauvages » comme l’avait suggéré Bernard Stiegler. Cette attention à nos pratiques singulières est une bonne manière de commencer si on doit, à terme, participer à la constitution de nouveaux standards d’annotation et de prise de note qui puissent être adoptés sans être obligé de se faire violence.

Voici donc mon témoignage,  qui pourrait aussi se présenter comme  les “confessions d’un sauvage de la prise de note”.

Tout d’abord, et au fondement de mes pratiques d’annotation, il y a une histoire de violence, pour reprendre l’intention de concevoir un dispositif que l’on puisse utiliser “sans être obligé de se faire violence”.

Prendre des notes est pour moi une pratique d’une très grande violence qui produit quelque chose comme une schize psychique.

Cela, je m’en suis aperçu à l’école primaire quand on commence à avoir des pratiques d’écriture qui ne sont plus des pratiques de copiage et de recopiage d’un texte déjà écrit, mais de retranscription de la parole du maître ou de la maîtresse. Tout spécialement avec la dictée, car on pratique la dictée aussi bien pour évaluer son orthographe que pour apprendre à retranscrire un propos.

Il est intéressant de remarquer que les premières pratiques de prise de note que nous apprenons a l’école  sont des pratiques “full text”, si je puis dire ; on apprend à restituer à la lettre ce qui vient d’être dit sans pouvoir exprimer une quelconque singularité ou « sauvagerie » : le cahier d’un élève doit d’abord contenir les mêmes choses que celui des autres élèves.

La distance interprétative, pour ne pas dire la liberté, qu’apporte la prise de note ne se gagne que plus tard, sans d’ailleurs, chose étrange, que cela fasse l’objet d’un quelconque enseignement. Je ne me souviens pas d’avoir bénéficié d’un cours ou même d’un accompagnement sur les techniques de prise de notes. Je vois à présent sur le web nombre de documents pédagogiques sur cette question qui n’existaient pas quand ma génération était sur les bancs de l’école (mais je constate quand même que ces enseignements sur la prise de note sont surtout à destination des lycéens et des étudiants ; peu sont destinés aux collégiens et encore moins aux élèves en primaire).

Prendre des notes, disais-je, était pour moi une pratique qui m’imposait de me faire violence. Cela certainement en raison de certains troubles de la mémoire : par exemple il m’est très difficile de retenir une phrase un peu longue et de la restituer telle quelle, sans que je ne la remette à ma sauce. Je précise que c’est également le même phénomène qui se passe quant je restitue une mélodie en sifflant, jamais je ne restitue correctement les notes originales.

Ce rapport de violence dans les pratiques de retranscription et de prise de note, je le mets au fondement de l’analyse critique de ma propre « sauvagerie ». Essayons donc de décrire cette violence qui produit un schisme psychique avec le vocabulaire rétentionnel.

Je suis en train d’écouter quelqu’un (vous remarquerez bien sûr que la situation de violence dont je parle n’existe plus quand il s’agit d’annoter un texte que l’on a sous les yeux, à disosition, c’est la raison pour laquelle je serai tenté de croire que les dispositifs d’annotation des objets temporels recèlent une singularité irréductible, une économie rétentionnelle singulière ), je suis donc en train d’écouter quelqu’un : ma rétention primaire – mon attention, pour le dire dans un langage courant – est toute entière absorbée par les propos de l’interlocuteur ; et voilà qu’il faut qu’en même temps je dirige mon attention sur moi-même écrivant. C’est comme si je devais suivre en même temps la pensée de mon interlocuteur et la mienne, et qui plus est selon des régimes différents. Car, c’est une chose d’écouter quelqu’un et de penser en même temps, s’en est une autre d’écouter quelqu’un et d’écrire ce que l’on pense et ce que l’on retient de ce qu’il dit.

C’est ici le passage au régime de l’écriture qui produit la schize et la violence que personnellement je ressens.

Pour bien saisir cette violence prenons l’exemple de l’écoute d’une mélodie ; est-ce que beaucoup d’entre-vous prennent des notes en écoutant de la musique ? C’est la même sensation que j’ai quand il s’agit d’un orateur, si je « l’écris » le risque est grand que je le perde, que je passe à côté, comme on dit.

Le résultat est que je ne me sens absolument pas efficace dans mes prises de notes, la plupart du temps je prends des notes par convention et pour ne pas donner une impression de désinvolture. Ça fait toujours sérieux de prendre des notes et puis, on peut s’y réfugier si la discussion ou les propos ne nous intéressent pas, c’est toujours bon d’avoir sa feuille et son stylo, encore plus son ordinateur si on a internet, quand on a “décroché” (ou qu’on a pas envie d’accrocher).

Par la suite, et à chaque fois que j’ai essayé de mettre en place un dispositif normé d’annotation (notamment en prenant exemple sur la manière dont les autres font), celui-ci  me réclamait un effort cognitif tel dans sa mise en oeuvre que le sauvage en moi, à chaque fois, prenait le dessus.

Et vous, quel(le) sauvage de la prise de note êtes-vous ?

C’est très difficile de prendre des notes. Que faut-il retenir ? Que doit-on sélectionner ? Que doit-on noter et ne pas noter ? Et surtout, pour en faire quoi !

Il me semble en fait que la réponse principale est là. A quoi vont-elles servir ? Selon leur utilité, il me semble qu’il est nécessaire de prendre des notes différemment.

Pour ma part quand je prends des notes d’une conférence, j’ai tendance à les prendre de la manière la plus exhaustive possible. C’est devenu un défaut. Une facilité. Ca évite de réfléchir. On fera le tri ensuite… Dans le premier temps, il faut noter pour conserver (et quid de ce qu’on rate ?!).

Mais je peux dire cela car justement, dans un second temps, je fais le tri, j’exploite mes notes, j’en tire des articles. Pour faire ceux-ci, j’ai besoin de rendre compte de ce qu’à dit la personne. Ne pas transformer ses propos dans la mesure du possible. Etre capable de citer précisément par moment ce qu’elle a dit. Ensuite, vient la réécriture qui tri, sélectionne, élimine, contracte, rééxplique, relie…

Quand je prends des notes, j’ai l’article que je vais faire déjà en tête. Il me faut des citations de l’auteur. Des références. Noter les exemples pour pouvoir les retrouver et ajouter le lien qu’il faut. Noter les points clefs de son argumentation (quand il n’en oublie pas lui-même !). Parfois, à écouter, on se dit que ça n’a pas d’intérêt (parce que cela n’en a pas ou pas pour vous, parce qu’il l’a déjà dit, parce qu’on l’a déjà lu…) alors on a tendance à arrêter la prise de note.

Je vois beaucoup de gens qui peinent à prendre des notes. Ne savent pas quoi prendre. Ils recopient les bullets points de la présentation, oublient les exemples, oublient la parole de celui qui s’exprime… Au final, quand ils relisent leur note, il n’y a plus assez de matière pour en faire quelque chose. Car le plus dur est bien de retranscrire ensuite, de donner à lire sans trahir. D’ajouter ses propres commentaires tout en rendant la pensée de celui dont on parle.

Il me semble que se donner un objectif de publication de ses notes est très formateur. Petit à petit, cela permet d’apprendre à les prendre. Pas seulement en faire le livetweet, qui est le début de la prise de note : trouver les passages importants, faire les liens qu’il faut. Mais aussi revenir dessus pour mémoriser et développer son opinion.

Au final néanmoins, toute prise de note est une interprétation, aussi fidèle soit-elle. Et en fait, dans le rendu final, c’est cela qui importe. Les idées de l’autres. Et celles qu’elles ont développées en vous.

Bon, j’arrête. En professionnel de la prise de note, je pourrais en parler des heures 😉

[Reply]

Dans la prise de notes, le site sketchnotearmy est intéressant. Les notes, ce n’est pas forcément un texte écrit au long cours.

[Reply]

Salut Christian, salut Hubert,

les études universitaires (contemporaines et historiques) sur les techniques de prise de notes (tout comme les manuels, d’ailleurs) sont assez nombreuses aujourd’hui mais elles manquent en partie leurs buts, en effet. C’est qu’elles n’analysent généralement pas le « preneur de notes » dans une perspective anthropo-sémiotique (récemment, une doctorante l’a fait pour l’annotation et son étude est remarquable : http://www.sobookonline.fr/annotation/etudes/comment-annotent-les-etudiants-une-etude-remarquable-menee-dans-une-universite-canadienne/), assez longue, qui permettrait, entre autres, de mesurer le degré de transformation de ces notes, les gestes de travail qui les produisent, le poids de l’institution (l’école) sur leur formation, l’ensemble des supports convoqués (car l’annotation a en fait des relations très complexes avec la prise de notes : certaines notes sont par exemple recopiées, après coup, dans le manuel dont le prof se servait pendant le cours – on retrouve historiquement les mêmes effets de transactions entre scholie et hypomnema; d’autres fois, une note est réalisée sur le même support mais elle ne pointe absolument pas vers le texte; plus que le support, c’est donc, je crois, une relation qui détermine la nature d’une note car l’annotation est aussi une activité qui peut consister à « prendre une note »).

Ensuite, il est vrai que la prise de notes mobilise de l’énergie et peut conduire à un état de violence ou, du moins, à une concentration « douloureuse « (moins que l’annotation manifestement qui demanderait 25 % du temps de lecture contre 22 % pour la prise de notes), concentration qui fait d’ailleurs parfois l’objet de récits amusants (voir ce Pinterest et ces étudiants qui se prennent en photo épuisés devant leurs notes : http://pinterest.com/sobookonline/collecte-d-annotations-postees-sur-instagram/). Les buts varient cependant : tel scripteur cherchera à se rendre seulement présent à la lecture en notant, un autre notera quelques mots-clés à rechercher plus tard sur Google, etc.; la surcharge cognitive varie donc. Et les stratégies pour la limiter également. Ce qui est aussi intéressant, par conséquent, c’est d’observer les moments creux dans la prise de notes et la multiplicité des activités mises en route pour ne pas avoir à s’y confronter directement (téléphone, écoute flottante, etc.). Bref, vous l’aurez compris : je suis favorable à une anthropologie (historique) de la prise de notes, à la fois située à un niveau micro (les gestes, les procédures, etc.) et macro (l’institution, l’apprentissage, les interactions entre élèves, la circulation des notes, leurs transformations selon le temps et l’espace, etc.).

Marc

[Reply]

C’est vrai Christian que la prise de notes « produit quelque chose comme une schize psychique ». En revanche, je ne partage pas le sentiment d’une grande violence en réalisant cette activité. C’est une faculté qui avec le temps s’émousse, malheureusement. Quand j’étais ado, même si effectivement c’était un exercice fatiguant, j’adorais prendre des notes en cours : le temps passait à vive allure…
Aujourd’hui, je prends moins de notes ; je fais confiance à ma capacité à retenir. Je ne retiens pas tout bien sûr, uniquement ce que je comprends et ce que je ne comprends pas, ce qui m’interroge, si ma pensée n’est pas partie vadrouillée ailleurs…
Aujourd’hui, comme hier, je prends des notes comme support de mémoire. Le fait d’écrire me permet de mémoriser mieux que si je ne prenais pas de notes. Je ne sais pas quelle magie se produit alors, mais relire des notes que j’ai prises, peu après ma prise de notes (1 heure ou 2 heures après) et voilà que mes capacités de mémorisation s’en trouvent facilitées. J’incorpore mieux si je puis dire les choses ainsi.
J’oserai dire qu’il y a une autre façon de mémoriser, pour moi. Mais peut-être que d’autres partageront évidemment ce point de vue : c’est de parler, raconter ce que je viens d’entendre ou de lire. C’est un exercice qui me plaît mais malheureusement, l’occasion m’en est rarement donnée.
Je dirais que prendre des notes est une activité solitaire (et j’ai toujours eu horreur en manquant un cours de prendre le cours sur les notes du voisin : bien souvent, illisibles !). En revanche, la restitution par l’oral d’une lecture (article ou livre), d’une audition (un cours), est une activité à plusieurs, une aventure collective.
Pour tenter de conclure mon propos, je dirais que je regrette un peu le temps de la prise de notes. Car aujourd’hui, j’ai de moins en moins envie de prendre des notes. Et j’ai remarqué que quand je prenais des notes c’est pour ne pas trahir les propos entendus, qui résonnent en moi avec beaucoup de force. Comme si, entre l’époque d’hier et d’aujourd’hui, quelque chose avait changé.
Ce dont je suis sûre, c’est que prendre des notes et écrire, ce n’est pas la même chose.
Noëlle

[Reply]

Je prends très preu de notes aujourd’hui, que ce soit en conférence ou en réunion. A contrario, j’en prenais beaucoup, étudiant. J’ai appris à faire le tri. Je ne note plus tout ce que l’interlocuteur dit. Je ne note que les quelques éléments qui me suprennent, originaux ou que je sens fondamentaux, à la racine de beaucoup d’autres choses.
Je ne note pas pour relire plus tard, chez moi ; je note pour fixer, sur le papier comme dans mon esprit, des mots mouvants. Je note aussi des éléments précis : dates, taux, chiffres, lieux, noms propres.

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