Le juste prix

Il y a une tendance qui n’a certainement échappé à personne, c’est la complexité croissante, je ne dis même plus du prix mais du système tarifaire des produits et services. C’est d’ailleurs une remarque que m’a faite Yves Marie Pondaven à propos de l’aberration de certaines politiques tarifaires dans l’IT. Il est vrai que, dans le milieu de l’informatique, on est plutôt bien servis.

J’ai arrêté d’essayer de comprendre les mécanismes de CAL de Microsoft ou encore les systèmes modulaires et les options de SAP. De toute façon on se trompe toujours, à croire que ceux qui réfléchissent aux tarifs chez les éditeurs doivent se dire :

« si quelqu’un comprend mon mécanisme tarifaire, c’est qu’il n’est plus bon et qu’il est temps d’en changer ».

Tout est fait pour qu’il n’y ait pas de comparaison possible avec d’autres produits ou services, car une marque tend à vouloir se rendre incommensurable avec les autres marques. D’ailleurs, l’ensemble de la stratégie marketing est bien souvent guidée vers la recherche d’un avantage compétitif singulier et différenciant. Dites à un éditeur de logiciel qu’il est en concurrence avec un autre et il vous répondra que non, il est sur un positionnement différent, et que ce n’est pas comparable, etc.
Si l’on sort du périmètre retreint du monde de l’IT, on constate que la multiplication des produits et de leurs déclinaisons nous met face à un « hyperchoix » qui risque de paralyser l’acte de choix dans la consommation. Ainsi j’ai récemment achété un appareil photo et le choix entre Sony, Nikon, Cannon, etc. n’a pas été une mince affaire : c’est un véritable projet comparatif qu’il faut mener ! C’est ce que souligne magnifiquement Marie-Anne Dujarier dans son ouvrage Le travail du consommateur où elle parle de l’acte d’achat dans une société de l’hyperchoix :

« Quel que soit le produit, l’offre est devenue complexe, foisonnante, diversifiée, « multicritérisée ». Elle change à des rythmes accrus, est disposée de manière à « piéger » le consommateur et rend le plus souvent la comparaison impossible ». p.157

Mais, comme le soulignaient F. Larceneux et R. Berger en 2006, dans « Tests statistiques sur l’hyperchoix et les stratégies du consommateur » (télécharger l’étude en PDF), le nombre croissant de produits disponibles et leurs déclinaisons associées placent le consommateur

« dans une situation d’hésitation et d’incompréhension de l’offre, ce qui peut même conduire à ne plus acheter »

Alors forcément, je ne vous étonnerai pas si je vous dis qu’en tapant « comparison » dans google on obtient 179 millions de résultats. Car il y a toute une industrie de la comparaison des produits et services qui s’est mise en place : test, banc d’essai, comparateur de prix, forum, etc. Tout est là pour « aider » le consommateur à faire son choix face à l’hyperchoix. Cela n’est d’ailleurs pas propre au web, regardez chez n’importe quel marchand de journaux, et vous observerez le pourcentage des magazines qui sont là pour vous accompagner dans votre choix : tests des produits ou services, avis d’experts, retours d’expérience des lecteurs au sujets de : photo, vidéo, informatique, jeux vidéo, placements financiers, habitat, immobilier, produits de beauté, etc.

Les critiques de littérature et de cinéma sont peut être les premières figures de cette industrie de la comparaison qui ne cesse de croître et de muter durant le XX° siècle pour en arriver au constat fait récemment par des revues de défense des consommateurs qui « observent régulièrement que la comparaison des tarifs (bancaires, assurances, services..) relève maintenant de l’exploit.

La logique qui se met ainsi en place consiste à paralyser les processus cognitifs des consommateurs pour que le choix ne puisse plus être rationnel. L’entreprise concentre sa capacité marketing à créer des systèmes tarfiaires d’une complexité croissante. Ainsi, le prix devient de plus en plus un algorithme, comme c’est le cas notamment avec le « yield management » qui fait varier le prix selon le temps et qui amène le consommateur à « comparer des tarifs qui évoluent à mesure qu’il les étudie ». Cela devient un algorithme car, un prix, cela a une élasticité : il y a un prix plancher et un prix maximum pour chaque produit et le « juste prix », pour l’entreprise qui vend, se situe entre ces deux extrêmes qui définissent l’amplitude du prix au delà de laquelle le produit risque de décrocher et de ne plus être viable sur le marché (baisser un prix pour vendre plus n’est pas une règle qui marche systématiquement, et revenir en arrière peut être désastreux).

Vers où cela peut-il nous mener ?

je pense qu’après la phase de multiplication des produits et services en une combinatoire infinie, l’objectif va être de pouvoir faire payer le même produit ou service plus ou moins cher en fonction d’un nombre plus important de critères : toutes les données collectées sur l’acheteur, le moment, le mode et le lieu d’achat. Car ce que le marketing sait, c’est que pour un même produit, le désir d’achat n’est pas le même pour tout le monde. La question est donc : comment faire payer plus à ceux qui sont prêts à le faire, et moins aux autres. C’est à dire comment exploiter au maximum toute l’amplitude des degrés de facturation qu’autorise l’élasticité du prix sans être contraint d’afficher un prix unique, correspondant à une moyenne non optimisée.

La vieille loi de l’offre et de la demande relève bien sûr de cette tendance au « devenir algorithmique des tarifications », mais elle prend une toute autre dimension à présent avec la connaissance que les entreprises ont des comportements individuels des consommateurs. On est passé de la loi de l’offre et de la demande à la loi des offres et des demandes. Maintenant que la récupération de nos traces est devenue une réalité en terme de data collectées, il va falloir faire tourner de nouveaux algorithmes capables d’exploiter ces nouvelles données issus du domaine de la discrétisation due au processus de grammatisation (celles de nos pratiques numériques aujourd’hui, mais aussi celles de nos activités au sens large avec l’internet des objets demain). Les algorithmes travaillent à présent avec les sommes infinitésimales des informations collectées sur des consommateurs avec la promesse de pouvoir dire :

« pour Mme Michu, ce produit coûte tant d’euros, à l’instant où je vous parle ».

Mais d’autres stratégies sont possibles : Free, dans un domaine où l’offre de service était loin d’être simple, à lancé un pavé dans la marre avec son offre simplissime indiquant un prix unique pour l’ensemble de leurs services de fournisseur d’accès à internet. Dans le domaine du logiciel également, Google annonce des tarifs pour les entreprises qui sont publics et se présentent sous la forme d’un prix unique par utilisateur comprenant tous les services. La mouvance des low cost joue également sur la clarté et la simplification de l’offre.

A toute tendance, sa contre-tendance : et dans la publicité, on voit tout de suite le positionnement de la marque sur ces questions d’offre tarifaire : soit la pub matraque son message en affichant la simplicité de son prix et de son offre (les pubs Free) soit la pub est décalée par rapport au produit, elle le sublime (type Air France) pour non seulement donner envie d’acheter mais également donner envie d’être prêt à le payer plus cher.

Après le cloud computing, le smog pricing 🙂
Typiquement, un billet de train SNCF, c’est devenu n’importe quoi : il existe « un tarif préférentiel pour chacun » (m’a dit une fois et avec sérieux un guichetier) mais en faisant les comptes, tout le monde paie finalement de plus en plus cher.

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Je suis pas d’accord avec votre analyse de l’offre free. Si la tarification ne relève pas d’un algorithme, le choix d’un opérateur ADSL reste un vrai casse-tête, tous coûtent à peu près pareil, mais il faut comparer :
– qualité de la box (wifi ou non avant, 802.11g ou 802.11n aujourd’hui)
– tarifs de téléphonie (et ses offres optionnelles)
– chaines télévision (et ses offres optionnelles, C+)
– prix de location du modem (je sais pas si ça se fait encore)
– prix de la hotline (gratuite chez alice)
– réseau pour utilisateurs à partir des box (existe chez free et neuf)
– frais de résiliation (qui peuvent évoluer avec le temps)
– difficulté à obtenir une mise à jour matérielle (en cas d’avancée technologique, type norme wifi)
– frais d’installation (cf. DARTY box)
– qualité du débit (probabilité de dégroupage avant, d’installation de la fibre optique maintenant)
– sans compter les nouvelles offres avec téléphones portables WiFi qui se connectent à la box pour les appels passés depuis chez soi (orange et neuf, si free cherchait une à obtenir une concession 3G, ce n’est pas pour rien)
Même en excluant les offres optionnelles, la tarification simple laisse la porte ouverte à des variations de paramètres de l’offre selon les opérateurs.
Sinon l’article est très intéressant.
NB : il y a une petite faute d’orthographe (algorithmes capablent d’exploiter)

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Le meilleur exemple de non-choix pour une raison liée à l’impossibilité de comparer les offres reste la téléphonie mobile :

– des besoins simples sur le papier (téléphoner X minutes dans le mois, envoyer Y textos).
– 3 acteurs majeurs (SFR / Orange / Bouygues), qui ont été condamnées pour entente illicite.
– des forfaits / produits / offres savament présentées pour ne pas être comparées / comparable.

=> Conclusion, un choix basé sur des critères finalement subjectifs.

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@ jean-no : je retiens le « fog princing » 🙂

@ Croco : Tout à fait juste. Reste que l’offre de Free a été innovante et tous ce sont alignés sur cette pratique, ce qui bien sûr ne réduit pas pour autant la complexité des offres. (ps. merci pour la faute d’orthographe)

@Oz : Je ne dirai rien de plus sur la mafia des opérateurs mobiles 🙂

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25 Juin 2009, 10:54
by Yannick Patois

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Bonjour,

Je crois qu’Amazon avait fait du tarif à la tête du client à une époque: plus on était un client fidèle, plus le produit était cher (c’est logique d’une certaine façon).
http://www.wired.com/techbiz/media/news/2000/09/38622

Cependant, cela avait rapidement filtré, et été désastreux sur le plan de l’image…

Yannick

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🙂

Mon dernier gros achat était aussi un appareil photo numérique, un compact ( vu les marques que tu as cité, je pense que ton choix s’orientait plutôt vers la catégorie des réflex).

Devant l’abondance des critères de choix entre les différentes marques et même au sein de la même marque ( impressionnant le nombre de modèles existant!), et cette espèce de malaise qui s’empare de moi chaque fois que je désire acquérir un produit ( étrange ), 4 mois se sont écoulés avant que je succombe finalement à l’achat, après moultes recherches.
Et comme tu l’as si bien fait remarquer, il s’en est fallu de peu où devant la complexité à faire un choix, je ne fasse l’impasse sur l’acquisition d’un numérique.

Le « fog princing »qui avait sévi durant de longs mois,cette fois là, n’avait pas eu raison de mon « vouloir » d’achat.

Bonne continuation…..

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L’autre impact psychologique: c’est que le fait de ne pas pouvoir comparer bien les produits entre eux, certains font des raccourcis et prennent « au moins cher », sans se poser la question des coûts cachés.

On arrive à des abérrations… ou pour « séduire » le client, il faut lui faire une proposition « la moins cher » possible et se rattraper sur tous les à côté. le client lui ne voit que le prix à l’acquisition et parfois pas le coût à l’usage.

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Excellent billet ! Cela rejoint une de mes expériences de cette semaine.

Je cherchais à profiter des soldes pour acheter un baladeur « mp3 ». Je sais parfaitement ce que je veut : un appareil qui lit les formats mp3, ogg, flac (parce c’est ce que je possède) dont la navigation soit simple avec un prix ne dépassant 200€ (si possible beaucoup moins) et bien le meilleurs service pour comparer les capacités des différents produits a été de voir un tableau de comparaison de Wikipedia en anglais!!! Avec les sites marchands (j’en ait fait 5) et 3 comparateurs j’ai pu arriver à trouver quelque chose qui répondent à mes attentes mais il m’a fallu 2 heures pour y parvenir !

Et je rejoint @David. J’ai rencontré une offre où le produit était bradé -30% mais pour avoir le support de tous les formats il faut encore payé. Le but est vraiment de lassé, dépassé les capacités cognitives (raisonnement logiques, mémorisations…) afin que le potentiel client dépassé jette son dévolue sur un produit s’en qu’il ait pu trouver se dont il a besoin. Que les pros du marketing joue ainsi avec mon cerveau me dégoute.

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Ces politiques découlent en partie du fait que la concurrence n’est pas pure est parfaite.
Quand une compagnie aérienne ou ferroviaire propose un aller simple plus cher que l’aller-retour, cela repose sur la non transparence de l’info. Si le client était parfaitement informé, cette méthode serait absurde.
Par ailleurs, s’il y a une infinité d’agents, on ne peut pas choisir le prix car le prix est imposé par le marché. C’est bien sûr loin d’être le cas pour des acteurs comme la sncf ou dans les telecom.
En revanche, on peut toujours avoir intérêt à faire varier le prix dans le temps même en cas de concurrence intense. C’est le cas de la boulangère qui n’a plus que des baguettes à 1€ pour les hommes d’affaires qui rentrent à 20h !

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Le marketing du choix : un frein pour l’innovation ou un paliatif au manque d’innovation ?…

Je vous invite à lire un billet intéressant sur le blog de Christian Fauré.
Il est vrai qu’il devient de plus en plus difficile de comparer deux produits, particulièrement dans le domaine informatique ou ils sont de plus en plus technique ce qui …

[…] . De la complexité croissante des systèmes tarifaires dans l’informatique Christian Fauré revient sur la complexité croissante des systèmes tarifaires dans l’informatique qui rendent les solutions, les services comme les produits volontairement incomparables. “La multiplication des produits et de leurs déclinaisons nous met face à un “hyperchoix” qui risque de paralyser l’acte de choix.” L’offre devient incompréhensible, cherchant à paralyser les processus cognitifs. Le prix devient un algorithme, pour justifier son élasticité. Les moteurs (et journaux) de comparaison se démultiplient pour y répondre. Mais la question d’avenir est comment exploiter, pour un même produit, l’élasticité que les gens sont près à payer selon leur besoin sans être contraint d’afficher un prix unique correspondant à une moyenne optimisée. A moins que la contre-tendance, l’ultra-simplicité tarifaire, ne l’emporte. Ca ne serait certainement pas un mal… […]

10 Juin 2010, 6:18
by Robert JOLLY

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Excellent article.

Je suis également moi même en train d’écrire un article sur la nécessaire réduction de la complexité des systèmes. Et la complexité est partout et chez tout le monde. Trois exemples :
– Il n’est pas rare de voir des couples qui ne s’entendent plus, faire un enfant ou un enfant de plus, en espérant que cela règlera le problème. Cela le complexifie, évidemment.
– Voyons les voitures actuelles. Lorsque j’étais jeune, si une ampoule de phare grillait sur ma 2 CV, je pouvais la changer en 2 minutes et cela ne me coûtait que le prix de l’ampoule. Sur ma C5 actuelle, il me faut aller chez le garagiste, et cela me coûte évidemment fort cher. Simplement, je n’ai plus accès au phare de ma C5 car il faut un outillage spécial.
– Nos sociétés sont bien embétées avec les déchets. Nous croulons sur les déchets. Alors se mettent en place des systèmes très compliqués pour détruire et/ou recycler les déchets. Toujours plus de complexité. Or le vrai sujet est bien le suivant : Comment diminuer la production de déchets, et non comment en détruire plus et plus vite.

Je n’avais pas pensé à la complexité des systèmes de tarification. Cet article m’apporte beaucoup dans ma quête à la simplification, ou vers la réduction de la complexité.

Merci à Christian Fauré.

Robert Jolly

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