Prolétarisation dans la généalogie des SSII

Le processus de prolétarisation qu’il m’arrive d’évoquer dans certaines réunions est généralement mal compris.
On confond prolétarisation et paupérisation. Or, un pauvre n’est pas nécessairement un prolétaire même si, statistiquement, la corrélation est forte.

Un prolétaire, comme je l’ai déjà précisé (en emboîtant le pas des travaux de Bernard Stiegler), est celui qui se fait déposséder de ses connaissances et de son savoir faire, soit parce qu’ils sont passés dans la machine-outil, soit parce qu’ils ont été modélisé dans l’algorithme d’un logiciel.
Ainsi dépossédé, on ne peut plus, pour des raisons économiques, continuer à exercer son activité et, par voie de conséquence, on ne peut plus se réaliser ou trouver du plaisir dans son travail.
Autrement dit, on ne peut plus s’individuer.

Soyons attentif à ce processus de prolétarisation dans le cadre des sociétés de services en informatique, les SSII, et on constate qu’il y est très présent.

Tout d’abord, si vous travaillez dans ce milieu, vous avez très certainement entendu parlé de « produits sur étagère », qui est l’expression consacrée indiquant que les entreprises arrêtent de faire des développements logiciels spécifiques pour répondre à leur besoin. En lieu et place ils achètent des licences de produits logiciels tout packagés ( Rq : j’exclue volontairement les solutions Open Source de mon propos car elles échappent, tout du moins en partie, à la prolétarisation que j’évoque).

Ainsi, les années 90 (et jusqu’en 2007) ont été les années des éditeurs qui proposaient des logiciels déjà développés pour répondre aux besoins des entreprises.
Face à cette tendance, les prestataires de services informatiques (tout comme les informaticiens salariés des entreprises utilisatrices) se sont vu dépossédés de la possibilité d’exercer pleinement leur savoir faire. De moins en moins de développements ; la plupart des informaticiens ont du restreindre leur périmètre d’intervention sur les phases d’installation, de paramétrage et de maintenance.

Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas de prolétarisation de masse sans marketing. C’est donc tout naturellement que le marketing des éditeurs a commencé à connaître ses heures de gloire dès les années 90, et encore jusqu’à aujourd’hui, même si je pense que fondamentalement une page a été tournée.

L’emprise du marketing des éditeurs de logiciels a été telle que les départements et l’organisation des SSII se sont alignés sur leurs concepts. Ainsi vous retrouvez dans telle équipe ceux qui font du logiciel de Gestion de Contenu (ECM), dans une autre ceux qui font de l’Architecture Orientée Service, là ceux qui font du Business Process Management (BPM), ici ceux qui font de la Gestion d’identité, etc.
Le phénomène arrive à son paroxysme lorsque des équipes sont carrément dédiées à un Editeur de progiciel intégré comme par exemple Oracle ou SAP, reléguées qu’elles sont à un simple rôle de sous-traitant d’éditeur.
Mais le summum est atteint avec la constitution de filiales communes entre SSII et éditeurs, comme par exemple entre Accenture et Microsoft qui a donné naissance à Avanade.

Toujours est-il que la prolétarisation qui s’en est suivie a finalement donnée une sale image de marque à ces entreprises de prestation informatique. Qui n’a pas entendu parlé de ces SSI comme des vendeurs de viandes ?

De toute façon, les jeux étaient fait dès l’instant où, pour garder des parts de marché, ces entreprises ont du s’arrimer à la locomotive du marketing des éditeurs, elle même avalisé par les cabinets de marketing technologiques que sont les Gartner, Forrester et autres IDC.

Si l’on continu à décrire le contexte général des forces qui s’exercent sur les grandes SSII, il faut rajouter qu’elles ont été introduites en bourse. Or, les actionnaires, surtout s’ils sont animés par la spéculation et les enjeux à court terme comme certains fonds de pensions américains, n’ont que faire du montant du chiffre d’affaire réalisé, seul la marge et le bénéfice a de la valeur à leur yeux.

Voilà donc nos SSII pris au piège d’une activité prolétarisée – qui donc génère de moins en moins de cash et de bénéfices – et contraintes à présent à s’engager vers des activités dégageant plus de marges.

La voie de l’offshore qui a été bien souvent choisie est une illusion car elle ne fait que reproduire la prolétarisation dans un autre contexte : il s’agit juste de gagner du temps.

Dans la désintermédiation annoncée par les solutions en mode SaaS, les grandes SSII vont devoir prendre des décisions pour se re-configurer, re-designer leur activité qui n’a cessé de se prolétariser ces dernières années.

En l’occurrence, on ne pourra pas se contenter de refaire on the cloud ce que l’on faisait on premises : il faudra être plus imaginatif pour conquérir ce golden field, comme on dit dans le marketing.

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